Lettre à Anne

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12 Juin 1942.

"Je vais pouvoir, j'espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n'ai encore pu le faire à personne et j'espère que tu me seras d'un grand soutien."

Cette fois, Anne, ma belle amie qui m'a tant accompagnée, c'est à moi de t'écrire. Je sais déjà que cette lettre sera lue par quelques uns et je veux te dire que je l'écris, comme toi, sur du papier. Nos plumes ne sont plus les mêmes, l'époque a changée, mais je voulais te parler.

Je t'ai connue il y a quinze ans. Ma mère, par désespoir de ne plus savoir quel livre m'offrir, m'a mis dans les mains ton journal. Ta photo en couverture m'a captivée. Ton regard, cette expression où je n'arrivais pas à savoir si tu étais sérieuse ou si tu allais sourire, ta coupe de cheveux si bien faite et si sage... Alors j'ai lu la quatrième de couverture.

"J'aimerais ressembler toujours à cette photo. Alors, j'aurais peut-être la chance d'aller à Hollywood." Anne Franck, 10 octobre 1942.

Sincèrement, je me suis demandée si l'histoire que tu allais me raconter m'intéresserais. J'étais une adolescente trop sérieuse, comment une fille dont le rêve est Hollywood pouvait me plaire ? J'ai grimacé et ma mère, devant ma moue dubitative, m'a dit de ne pas chercher et de te lire, qu'elle était certaine que je ne décrocherais pas du journal. Je me suis donc retranchée dans ma chambre et je t'ai lue. Enfin, j'ai lu l'avant propos. Je m'en suis voulue de ne pas t'avoir fait confiance immédiatement. J'ai compris qui tu étais. Ce que tu pouvais m'apporter. Je t'ai lue ce soir là du 12 juin au 8 juillet 42. J'avais encore le temps de parcourir ces pages, mais je me suis arrêtée là. Tu dois bien sûr t'en rappeler, c'est ce jour là que tu racontais ton départ. Tu as écrit "La suite à demain". J'ai fait comme toi. J'ai regardé mon journal et j'ai vu nos ressemblances. Nos amies, les garçons, l'école, cette vie quotidienne que je ne comprenais que trop bien. J'ai pensé à toi tout le reste de la soirée.

Le lendemain, un samedi, mes parents avaient décidé de faire les boutiques dans le département d'à coté. Ne voulant pas me laisser seule toute la journée, nous sommes partis ensembles, toi, mon frère, ma mère , mon père et moi. J'ai ouvert ton journal à peine ma ceinture attachée. Lorsque la voiture à été garée, j'ai préféré rester avec toi, continuer à te lire, je ne pouvais pas m'arrêter. Le temps a passé sans que je ne m'en rende compte, passionnée par ce jeu de cache cache qui me semblait délirant, tellement hallucinée par ce que je lisais que j'avais peur avec toi, j'étais tendue. Mes parents sont revenus au moment où du bruit se faisait entendre à l'étage sous votre cachette, j'ai bondi.

La vie à l'Annexe me paraissait d'un ennui effroyable. Les Van Daan/Van Pels... Je trouvais Peter si fade ! T'aurais-t-il plu à l'extérieur ? Quant à ses parents, quels personnages sûrs d'eux ! Comme toi, je les trouvais invivables. Et Dussel/Pfeffer... Ce pauvre homme grincheux que tu as dû supporter. Je trouvais Margot attachante, tes parents courageux. Mais, tu sais, toi aussi tu m'énervais parfois. Je comprenais pourquoi tu tapais sur les nerfs de tout le monde.

Et puis j'ai vu le nombre de pages restantes diminuer au fil de la journée. Quand on est rentrés (enfin!) à la maison, j'ai décidé de garder la fin de ton journal pour le lendemain. Le dimanche donc, je reprenais ma lecture. J'ai suivi ton quotidien, encore. J'avais peur d'arriver à la fin, parce que je savais qu'a ce moment là, tu serais perdue.

Et puis me voilà à lire ta joie. Hitler a failli être assassiné.

Et puis cette lettre du 1er Aout 44. Tu exprimes tes peurs. Ton caractère. Ce que tu aimerais vraiment qu'on sache de toi. Je me reprends à t'aimer.

Et puis... "ici se termine le journal d'Anne Franck".

Je suis désespérée. Déroutée. Pas maintenant ! Anne, reviens moi ! Tu ne peux pas me laisser sur ça !

Alors je lis l'épilogue. On t'a embarquée le 4 Aout 44. Tu es morte entre Février et Mars 45 à Bergen-Belsen.

Bien sûr, je savais dès le début que tu mourrais à la fin. Mais que veux-tu, je n'ai pas pu m'empêcher d'espérer malgré tout.

Tu m'a troublé.

Je t'ai relue, sais-tu ? Une fois par an probablement. Plus parfois. Tu as beau avoir disparu, il arrive que j'ai besoin de toi. Pour ne pas t'oublier, toi et les autres. Tous.

Cette fois-ci, nous sommes le 7 juin 2015. Quinze ans que tu m'accompagne, presque 73 ans jours pour jours que tu as reçu ton journal à ton anniversaire.

71 ans que tu as disparue.

Et c'est peut-être stupide, mais je ne sais pas comment finir ma lettre.

Alors, Anne, mon amie, je te dis à bientôt.

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