Chapitre V : Terra Australis

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Note d'Esteban : Je me demandais bien ce que Tao pouvait faire ici, dans cette pièce, pendant des heures... Il nous avait caché, à Zia et moi, qu'il écrivait un livre ! J'ai bien fait de profiter qu'il soit allé rendre visite à la famille d'Indali pour me faufiler ici : je m'en voudrai de ne pas laisser ma patte dans un si bel ouvrage ! Laissez-moi donc vous conter la suite de cette aventure... Je suis sûr que Tao ne m'en voudra pas...

Les Moluques. Fin d'après midi.
Le Grand Empereur muen vient donc d'achever une déclaration mélodramatique, comme il aime en produire à l'occasion. « Détruire le monde ! » avait-il dit. Comme si cela devait me désarçonner ! Nous tous en avons vu d'autres ! Pour lui faire plaisir, néanmoins, je lui demande donc de quoi il retourne...

« Eh bien, vois-tu, Esteban, Rana'Ori et les miens n'ont pas quitté notre monde juste comme cela, répondit Tao pompeusement tout en claquant des doigts... Cela leur a pris du temps. Bien sûr, à cette époque, ils maîtrisaient déjà les technologies qui leur avaient permis de construire les Cités d'Or, programmer des lumino-projections, communiquer à distance via des sono-boîtes et ils possédaient bien d'autres inventions encore ! Cependant ouvrir des portails, à ce moment-là, c'était encore quelque chose de très théorique...Qui plus est pour accéder à une autre dimension.
- Ils ont donc du, poursuit Zia, développer ce genre de procédé, à partir de rien...
- Oui, acquiesce l'héritier de Mû.
- J'imagine que ce n'était pas une mince affaire et que c'était un travail risqué, enchaîne Isabella.
- En effet, confirme l'ancien naacal émérite : Rana'Ori et ses sages voulaient prendre d'infinies précautions. Mais en raison de la guerre qui régnait, ils étaient aussi pressés par le temps. Plusieurs savants et ingénieurs muens sont morts lors de tests lancés trop hâtivement. Il a fallu des dizaines de prototypes avant que le premier appareil permettant d'ouvrir des portails soit opérationnel. Cet appareil, c'est le Façonneur...
- En quoi un engin permettant d'accéder à un autre endroit pourrait-il détruire le monde ? demande le Fils du Soleil.
- Un premier danger, explique Tao, serait que le Docteur réussisse tout simplement à l'utiliser pour accéder à mon royaume. Qui sait ce qu'il y ferait une fois là-bas ? Il pourrait y dérober des inventions, ou bien y être venu avec une armée et conquérir l'endroit ce qui, au passage, était le projet de Ta'Harqa, mon ancêtre, si tu te souviens bien... »
Le jeune homme tressaille à l'évocation de son aïeul maléfique, puis reprend.

« Le vrai risque, serait que Fernando commette une erreur de calcul ou de jugement, ne manipule pas le Façonneur comme il le convient et qu'il le dérègle...
- Que se passerait-il alors ? interroge l'inca.
- L'appareil est en orichalque, Zia. Comme les autres assemblages de ce métal, il est capable de se charger d'une énorme quantité d'énergie. Mal utilisé, il pourrait exploser, ce qui pourrait dévaster un continent entier et causer un grand nombre de morts. Toutefois cela serait encore le moins grave de ce qu'il pourrait se produire.
- Viens-en donc au fait, Tao ! le réprimande, agacé, le dernier des atlantes en fronçant un sourcil.
- J'y arrive, Esteban, lui répond son frère de cœur... L'appareil pourrait aussi dysfonctionner en cours d'ouverture d'un portail, provoquant ainsi une rupture entre les deux dimensions, les mondes viendraient soudain à coexister au sein du même espace, ce qui est normalement impossible. Les conséquences réelles que cela pourrait avoir sont difficiles à prévoir, mais cela détruirait à coup sûr le monde entier, tel que nous le connaissons. Peut-être même l'univers...»
A ces mots, ses amis reculent d'un pas, soudain effrayés.
« Isabella, finit Tao en regardant la bretteuse, ton père est certes un grand savant, cependant je doute qu'il parvienne à maîtriser un engin aussi complexe et puissant que le Façonneur... S'il était armé de patience, il y arriverait, avec le temps. Malheureusement, nous savons tous deux que ce n'est pas dans sa nature...
- Mais enfin ! soupire l'atlante en écartant les mains. Pourquoi ton peuple, n'a-t-il pas détruit ce machin, ce Façonneur, après avoir maîtrisé sa technique et l'avoir appliquée aux portails que nous connaissons ?
- Depuis le temps, Esteban, tu devrais savoir que les muens, ont horreur de détruire leurs inventions. Le savoir nous est précieux ! Nous préférons plutôt mettre nos technologies hors de portée. C'était le cas des Cités d'Or, par exemple, conçues pour se replier. Si je me souviens bien, le Façonneur était toutefois trop massif pour cela et le démonter aurait pris un temps considérable que mes ancêtres n'avaient pas. Ils préférèrent focaliser leurs efforts sur la miniaturisation des portails et aboutirent à ceux que nous avons empruntés. Il laissèrent donc le Façonneur en Terra Australis, en prenant soin, toutefois, de le protéger à l'aide de pièges.
- Cela n'arrêtera pas mon père, met en garde Isabella. Ambrosius lui ayant implicitement confirmé l'existence de ce dispositif, Fernando remuera ciel et terre pour se l'approprier !
- Je n'en reviens toujours pas d'ailleurs, déplore Esteban : que, même coincé au fond d'une cellule, Ambrosius parvienne encore à nous nuire !
- Oui, renchérit Zia. Même sans armure, il est toujours aussi dangereux !
- Croyez-moi, il ne perd rien pour attendre, promet Tao. Nous réglerons son cas plus tard : la priorité est de localiser le Docteur et de l'empêcher de mettre la main sur le Façonneur !
- Sais-tu où se trouve cette invention ? demande l'inca.
- Malheureusement, pas précisément, lui répond son ami. Tout ce que j'ai lu, c'est qu'elle est en cette partie du monde que les espagnols appellent la « Terra Australis ». C'est au sud de notre position. Je me rappelle également que l'objet était assez grand, j'imagine que par précaution il a été conçu au sein d'un massif rocheux...
- Quand nous avons discuté avec lui, rappelle Isabella d'un air préoccupé, mon père a indiqué qu'il cherchait une gigantesque montagne d'or. Cela pourrait bien être ce type d'endroit. Je n'aime pas ce genre de coïncidences...
- Retournons dans l'autre monde, suggère Esteban. Rana'Ori nous dirait certainement où aller...
- Oui, c'est une bonne idée, approuve Zia. Mais n'oublie pas que le temps fonctionne différemment là-bas. Le temps que nous nous y rendions, collections les informations nécessaires et revenions ici, plusieurs mois pourraient s'être écoulés. Fernando pourrait avoir décelé le Façonneur et l'avoir activé ! C'est trop risqué...
- Mon père a sans doute avec lui des combattants, dit Laguerra, le menton dans une main, pensive... Que diriez vous de regagner d'abord Pattala ? Mendoza, Gaspard, Kushi et Athanaos nous rejoindraient en renforts...Et mon mari étant un excellent navigateur, il nous aiderait probablement à localiser notre but.
- Je n'en doute pas, Isabella, déclare Tao. Malgré tout, comme Zia l'a dit, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps...
- Bien, acquiesce le dernier des atlantes en empoignant le manche de pilotage du condor. En ce cas, mettons nous en route...Le Docteur a dit qu'il allait vers l'est. Sommes-nous sûrs, au moins, qu'il y a une terre dans cette direction ? Si jamais il n'y en a pas, le condor plongera et nous entraînera vers une mort certaine !
- Ne t'inquiète pas, Esteban, explique son ami : Rana'Ori m'a donné accès à tous les livres en sa possession et j'en ai déjà lu une grande partie. Je sais qu'il existe une terre, au sud-est.
- Attendez, tempère Zia. Partir maintenant est trop risqué : l'après midi est déjà bien avancée. Nous n'irons pas très loin.
- Zia a raison, déplore la bretteuse. Posons-nous quelque part, dans un endroit sûr, et passons-y la nuit. Nous partirons à l'aube demain.»

Et c'est ainsi qu'après une nuit un peu difficile en raison de l'appréhension, le groupe s'envole pour la Terra Australis. Ce faisant, il passe au dessus de plusieurs îles. Mais celles-ci sont en général très petites et aucune d'entre elles ne semble abriter de massif montagneux d'importance et ils n'y trouvent non plus pas trace de la belle Aztèque, le navire de leur ennemi.
Durant leur vol, les compagnons remarquent que cette partie du monde est extrêmement reculée : ils ne survolent que de rares villages et embarcations. Et quand c'est le cas, il s'agit généralement de pirogues de pêcheurs autochtones.
Au bout de quelques jours de recherches, finalement, ils aperçoivent au loin une immense bande de terre. Plus ils s'en approchent, plus celle-ci leur paraît gigantesque, s'étirant, de part et d'autre du poste de pilotage, jusqu'à dépasser leur champ de vision.

« C'est sans doute le continent que nous cherchons, s'exclame Isabella.
- La Terra Australis, murmure Zia, les yeux grands ouverts, la jeune femme étant surprise par l'immensité.
- Encore une nouvelle terre à découvrir ! » se réjouit un temps Esteban. « Je me demande si un jour nous les aurons toutes survolées... » Toutefois, il se rappelle presque aussitôt la raison de leur présence ici et il se rembrunit.
« Baissons notre altitude et longeons la côte, suggère Isabella. Ainsi, nous aurons plus de chances de repérer l'embarcation de mon père.»

Les Chroniques de l'Ordre du Condor (fanfiction Mystérieuses Cités d'Or)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant