Brugmansia II

Chapitre 40

Iris

    La dernière fois que le domaine de Brugmansia a été plongé dans ce silence austère c'était lorsque le Diable avait mis fin à ses jours. Les mauvaises herbes de ce dernier avait été empêtrées dans le mutisme du deuil. Aujourd'hui, c'est la deuxième fois que Brugmansia connait ce silence mortuaire. Le silence de la fin d'une ère. Celle où c'était le Diable qui régnait sur Terre.
    Aujourd'hui, les êtres humains font bien pire que l'Enfer.
    Cela fait maintenant des heures que l'Ange de la mort est ici, assis sur son trône des Enfers qui semblent avoir perdu l'intensité de ses flammes, de la chaleur de la peur, de son mal.
    Rafflesia, bras croisés à côté de ce dernier, me lance un regard inquiet et incertain. Nous en sommes tous là. Les mauvaises herbes de Brugmansia sont présentes aussi et regardent leur souverain, confuses et inquiètes à leur tour. Tous attendent un mot du Diable.
    Ae Cha tient ma main, rongée par l'attente du moindre geste de l'Ange de la mort.
    Bien conscient que nous sommes ici, il ne nous accorde pourtant aucune sorte d'attention. Ses ocelles déjà sombres ont pris une teinte noire glaciale, quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant. Aucune expression ne traverse son minois. Ni colère, ni tristesse, ni confusion... Son teint d'albâtre n'a pas rougi d'émotion et ses lèvres incarnadines ne sont pas déformées par la haine.
    Aucun son ne sort de sa bouche, aucun geste ne traverse son corps, comme s'il était devenu une statut de pierre.
    Les Red Spirit ont véritablement frappé fort cette nuit.
    Lazulite savait très bien où frapper son petit frère car il était déjà venu à Brugmansia. Et maintenant, je me dis que toutes ses venues ici étaient peut-être dans le second but, d'un jour pénétrer ici avec ses hommes pour tout brûler, tout détruire, comme une révolution pour le trône des Enfers.
    Encore de longues minutes, nous attendons tous silencieusement et lorsqu'une mauvaise herbe toussote pour mettre fin à cette torture, c'est encore pire car Jungkook nous regarde enfin.
    Ses yeux n'expriment rien. Rien hormis le reflets des véritables géhennes qui se jouent à l'intérieur de lui. Son être choisi. Son être est en plein dilemme.
    Quelle souffrance insuffler à son ennemi ? Combien ?
    L'Ange de la mort pose ses mains sur les accoudoirs de son siège et répond d'un calme oppressant, nous empêchant de respirer pleinement :

« Sortez d'ici. »

     Parce que les foudres semblent aussi loin que proches, les mauvaises herbes ne tentent pas de résister. Elles suivent toutes l'ordre en quittant dans le calme la salle dans laquelle nous sommes.
    Petit à petit, la pièce se vide mais je reste. Ae Cha me lâche la main en m'accordant un petit sourire, réconfortant et il ne reste plus que Rafflesia et moi.

« Rafflesia, tu peux partir aussi. »

     Ce n'est pas une proposition. C'est un ordre formulé avec plus de respect que les autres car il est son bras droit, celui qui ne l'a jamais trahi, celui a qui il a toujours pu faire confiance les yeux fermés, celui qui a toujours été un bon conseiller, celui qui lui a déjà sauvé la vie en mettant la sienne en danger.
    Rafflesia hoche la tête en signe qu'il a reçu son ordre puis il s'avance vers la sortie.
    En effleurant mon épaule, il me chuchote :

« C'est le moment de relever le Diable, Iris. »

    Je ne suis pas sûre que le Diable me considère plus importante que Rafflesia car de nombreuses fois, sans vraiment l'avoir voulu, je l'ai déjà trahi.
    Les grandes portes en bois se font refermer derrière moi dans une bruit assourdissant et le silence revient nous assourdir entre ces quatre murs.
    Le manque de bruit passe entre nous avant qu'il pose son regard sur moi.

« Tu peux partir si tu ne veux pas rester. »

    Je devrais sûrement partir. Je sais Brugmansia plus fragile que jamais mais à la place, je m'avance vers lui. Je pose ma main sur son avant-bras et je laisse mon regard plonger dans le sien.