First

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Face au miroir, je fronce les sourcils en dévisageant cette fille aux yeux d'un gris sombre. Il fut un temps où mon regard brillait de vitalité. Mais maintenant... il est terne, presque mort. Tous les efforts déployés ces quinze derniers mois pour surmonter mon deuil et commencer une nouvelle vie sont restés sans effet. J'ai laissé passer les jours et fini par capituler. Passivement, j'ai observé la fatigue tirer peu à peu les traits de mon visage.

Mais, ce soir, c'est différent. J'en ai assez de ces cernes sombres à peine recouverts de fond de teint, de cette lassitude qui pèse trop lourd sur mes épaules. Lentement, je penche la tête d'un côté, de l'autre, je plisse les yeux, comme pour voir le monde sous plusieurs angles. Mais ce n'est qu'une illusion : j'ai toujours cet air triste et fatigué.

Pourquoi ne pas ajouter du mascara ? Peut-être que plusieurs couches de triple volume noir m'aideront à voir les choses différemment. J'essaie, pour voir. Non, ça ne change rien.

En reposant brusquement le tube, je souffle d'un air décidé et m'adresse d'une voix grave à cette étrangère enfermée dans un miroir :

— J'en ai assez de tout ça.

La fille en face de moi, avec sa moue boudeuse soulignée au rouge à lèvres et ses cheveux marron chocolat, ressemble à un mirage de celle que j'étais avant, et cette image quotidienne finit par me lasser. Je la hais, je hais cette enveloppe physique de mon ancien « moi » qui porte sa dépression en étendard. Un désespoir qui se lit sur ces joues creusées, sur ce sourire triste que j'arbore telle une médaille et qui me dégoute. Allez savoir pourquoi, j'en suis même venue à compter les jours qui me séparent de la date fatidique de l'accident, je marque des croix sur un calendrier imaginaire pour me rappeler que j'ai survécu encore un jour de plus dans cet enfer. J'ai décidé d'arrêter de compter, il y a vingt-huit jours de cela, pour reprendre une vie normale.

Seulement, mes efforts se sont limités à quelques tentatives misérables de me changer les idées. Ce soir, comme chaque semaine, je retrouve ma meilleure amie Hayden pour un dîner en ville. Alors que je suis là à me préparer, je me rends compte que j'en ai marre. Il est temps de tourner la page, de recommencer à vivre. J'ignore encore ce que ça veut dire exactement, mais une chose en moi se réveille, au fin fond de moi. Cette chose plante de petites graines d'espoir qui, peu à peu, se transforment en une envie nouvelle qui se sent à l'étroit dans cette coquille inerte. Sans réfléchir plus longtemps, je saisis mon téléphone et envoie un texto à Hayden.

📲 Changement de plan. Ce soir, rendez-vous au Jack's Bar.

La réaction de Hayden, je la vois d'ici : bouche bée et sourcils levés, elle décrypte mon message, ses yeux bleu ciel écarquillés d'étonnement. Elle doit se dire que j'ai perdu la tête. Lorsqu'elle viendra me chercher, j'aurai droit à un interrogatoire en règle dès qu'elle aura franchi le seuil. Mais je sais ce que je fais et ma détermination l'emportera.

Hayden me demande par texto :

📲 Tu es sûre de toi ?

Je réponds aussitôt.

📲 Ramène tes fesses avant que je m'énerve.

Et Hayden de renchérir :

📲 Alors tu es vraiment de retour, ma belle ? Je n'y croyais plus !

De retour... Je ne suis pas sûre de pouvoir un jour redevenir celle que j'étais avant. Mais je compte bien étouffer ces braises tristes qui rougeoient au fond de moi et menacent encore de prendre feu, ne serait-ce que le temps d'un soir.

En levant encore une fois les yeux vers la jeune femme dans le miroir, je perçois dans son regard comme une lueur d'espoir. Je quitte la salle de bains et referme vite la porte derrière moi en priant pour que la fille du miroir ne me suive pas. Je veux être moi, l'espace de quelques heures. Retrouver celle que j'étais, celle qui aime danser, écouter de la musique, rire... Bref, croquer la vie à pleines dents.

Just A Song | JB (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant