Samedi fin d'après-midi
Lorsque Yeonjun coupe le moteur de sa moto, le ciel avait déjà revêtu son manteau aux couleurs d'or, d'orangé et pourpre.
Le soleil quant à lui, resplendit au loin, déjà à moitié englouti par la mer donc il perçoit le son des vagues au loin.
Le châtain retire son casque en souriant intérieurement. Les astres ne sont pas tous noirs finalement.C'est sur cette phrase que brutalement, ses souvenirs le replongent dans un moment de sa vie douloureux.
C'était Théo qui parlait des astres noirs. Théo. Son casque tombe à ses pieds. Il n'est pas arrivé et ne risque pas de l'être.
Les astres ne sont pas noirs. Combien de fois a-t-il répété cette fameuse phrase à Yeonjun ?
Combien de fois Yeonjun ne l'a-t-il pas écouté ? Combien de fois avait-il dit des choses qu'il regrettait et où Théo était parti en hurlant et en fracassant tout sur son passage ?Théo était bipolaire. Théo avait dix-sept ans. Théo était le cousin de l'ami de Yeonjun qui tenait un garage. Théo était, avait. Théo n'est plus, Théo n'a plus.
Théo fut la plus grande joie et la plus grande entaille de Yeonjun.Les astres ne sont pas tous noirs.
Putain Yeonjun, respire. Les battements de mon cœur s'accélèrent. Il bat fort. Il me fait peur. J'ai peur. Me lâche pas. Respire. Yeonjun bordel, ressaisis-toi. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas pensé à lui. Je suis garé sur le bas côté d'une falaise face à la mer, face au vent, et putain de bordel de merde qu'est-ce que j'ai peur.
Théo. Ton prénom, je l'entends aussi nettement que tu le prononçais. On l'a souvent regardée la mer toi et moi. Aujourd'hui je suis face à elle, il y a du vent, elle est déchaînée et elle me fait penser à toi. T'étais magique Théo. Complètement massacré par ta foutue maladie, mais tu étais magique.Avec toi, j'ai revu la bataille napoléonienne de Toulon, on a battu les Anglais en les attaquant de nuit, on a pillé des navires de pirates, volé un bateau pour franchir cette barrière hostile et destructrice qu'est la mer tels Santiago à la recherche des pyramides, tout ça, le cul assis sur un rocher de la digue.
Avec toi, j'ai regardé le ballet aérien de l'armée de l'air de Hyères, on a mangé des churros sous les hélicoptères, on a écouté XdinaryHeroes sous le soleil de braise, on a échangé des baisers aussi brûlants que le sable en plein mois d'août.
Avec toi, on a pris une moto à Gumpa, on est parti sans prévenir, sans permis, sans rien, on s'est juste enfuis comme deux amoureux qui n'ont pas besoin d'excuse pour disparaître. Certes on s'est vautrés parce que c'était toi qui conduisais mais j'ai même pas regretté ce moment après avoir vu mes blessures.
Avec toi, je ne peux rien regretter. Tes crises m'ont rapproché de toi. J'étais le seul à te comprendre, à savoir apaiser la force des battements de ton cœur, te permettre de respirer. T'as toujours pu tout me dire. Je te consolais pendant des heures. Et le reste on s'en fout, je te disais. Je ne te laisse pas seul, je te répétais. Mais c'est aussi tes crises qui nous ont éloignés. Un jour, lorsque tu m'as vu, t'as pété un câble.
Tu as hurlé, balancé ton téléphone par terre. Ton sac est lourdement tombé au sol. T'as fui. J'ai dit à mes potes de m'attendre, je suis venu te chercher pour voir si tu allais bien. Je suis passé devant ta meilleure amie, plus prudente que moi. En effet, elle, elle ne s'est pas pris la claque que j'ai reçu. Ton ignorance.Toi et moi, on n'était pas en couple. On avait posé les bases dès le début. On passe du bon temps ensemble, pas d'engagement, on est potes, pas amoureux. On passe le temps de façon agréable pas d'attachement.
Ma première grande erreur a été de ne pas avoir vu ton attachement justement. C'était comme si j'avais planté une flèche dans ton cœur et que je refusais d'admettre que c'était la mienne.Quand je suis venu te chercher, j'ai compris la seconde suivante pourquoi ta meilleure amie ne t'avait pas suivi. Encore une fois, elle a été bien plus avisée que moi.
Je n'oublierai jamais ton visage ravagé par les larmes. Pas plus que je pourrais un jour annihilé l'image de toi, une expression de pure rage sur le visage, les traînées noires que ton crayon dessinaient sous tes yeux, tes lèvres tremblantes des cris que tu ne pouvais émettre. T'aurais voulu me hurler dessus, me mettre minable. Seulement même un crochet gauche dans le foie n'aurait pas pu égaler ta douleur.J'ai voulu te prendre par le bras, te retenir. Tu t'es dégagé avec une telle force que je n'ai pas osé recommencer. Tu m'as écarté d'un simple geste, sans même un regard, tu as foncé récupérer tes affaires et te cacher de moi derrière le bâtiment. Ta meilleure amie m'a à peine adressé un signe d'au revoir. J'étais hébété. J'étais ton confident, je t'avais compris. Pourquoi tu me rejetais ce jour là ?
Pourquoi tu me rejetais, tout simplement ?J'aurais souhaité que le pire soit passé mais apparemment, ma bonne étoile s'était éteinte et faisait maintenant partie de tes astres noirs. Tu as poussé un hurlement si effrayant et déchirant de douleur que j'en ai tressailli. Tu as une nouvelle fois lâché tes affaires et couru. Tu courrais, où, même toi tu ne le savais pas mais tu me fuyais, tu courrais loin de moi. J'avais l'impression d'être un de tes cauchemars. Pourtant je t'ai suivi.
J'ai couru moi aussi, comme si je ne savais plus utiliser mes deux jambes mais je peux te jurer qu'elles n'ont jamais été aussi inutiles de ma vie. Tu me distançais de quelques mètres seulement, quand j'ai entendu l'effroyable crissement de pneus.
J'ai lentement relevé la tête pour te voir étendu. Étendu, sur la chaussée, yeux fermés. Le sang coulait d'une large blessure venant de ta tête.On t'a tué.
Ta maladie et moi on t'a tué.
Elle, parce qu'elle t'a entraîné dans un désespoir sans fin, moi, parce que j'étais la cause de ce désespoir.
On t'a tué.
Putain.
On t'a tué.Il pousse le hurlement le plus effroyable qu'il n'ait jamais produit de sa vie. Il se libère. Là face à la mer aussi détraquée déchaînée que l'était Théo, il hurle. Son malheur, sa culpabilité, sa honte, sa haine, il les hurle à la mer, ses mots se noient dans le vent et se perdent dans l'écume.
L'encre noire de ses cris se dispersent à travers les falaises, le vent souffle, il serre les poings, il serre les dents, il pleure.Il ramasse son casque, met ses pensées sur pause et démarre sa moto, allant aussi vite que lui permet son moteur. Tant pis. Peut-être que les gens qui meurent de la même façon vont au même paradis. Ainsi, il retrouverait Théo.
Son téléphone sonne, il ralentit et jette un rapide coup d'œil.+33 * ** ** ** ** ~Ben
- Bah alors, tu t'es perdu ou quoi ? Ramène ta belle gueule en vitesse, ma mère s'inquiète.Il prend conscience. Il n'est pas seul. Il ne foutra pas sa vie en l'air sur cette route défoncée de la Corse du Nord. Il ne mourra pas pour espérer rejoindre Théo dans un hypothétique paradis. Théo a fait le choix de mourir, Yeonjun fait le choix de vivre.
Il range son téléphone, ralentit de plusieurs dizaines de km/H et calme son rythme cardiaque. Tout va bien. Il va vivre.
Mais d'abord il va se manger un saucisson corse.
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Our summer ʸᵉᵒⁿᵍʸᵘ
FanfictionYeonjun, jeune adulte forcé de grandir rapidement, vient d'une famille problématique. Le jour où il est amené à s'enfuir, son premier réflexe est de partir là où il sait qu'on ne le retrouvera pas. Un seul sac pour deux semaines, un billet de ferry...