Chapitre 2

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Nous avons passé la journée ensemble, comme toujours. Elle a adoré les crêpes et a du me remercier une centaine de fois pour les avoir partagées avec elle. Comme réponse, je me contentais d'essayer de cacher mes joues rouges. A midi, nous avons mangé avec le reste de nos amis : Michel, le mec que tout le monde pense homosexuel ; Pauline, qui sort avec Enzo ; et finalement, Enzo, celui qui taquine n'importe qui, n'importe quand, et bien souvent, à outrance. C'est un groupe plutôt sympa : on rigole, on discute, on échange et on se serre les coudes. Ils me considèrent, et particulièrement Enzo, comme une "tomboy" : une fille masculine à 101%. Souvent, celui-ci raconte : "Je suis persuadé que Thalya est plus virile que Michel !". Et tandis que Michel bégaye afin de le nier, Amélie rit aux éclats en prétendant que ce n'est pas vrai du tout. Personnellement ? Je n'en sais rien et je ne vais pas m'attarder sur mon apparence, ni sur ce que je suis dans le fond. Ce que je suis... Comment pourrais-je me définir ? Depuis plusieurs mois, je ne pense qu'à une seule et unique chose : Amélie. Même si j'essayais de penser à ce que je suis, la seule réponse qui me viendrait à l'esprit serait : "Je suis amoureuse d'Amélie". Et ce, depuis longtemps. Je me pose souvent la question. Est-ce que les autres l'ont remarqué ? Que je reste avec elle tant que je le peux ? Que je prends le bus, le matin, avec elle ? Que l'on rentre ensemble après les cours ? Que j'acquiese à chaque fois qu'elle prend la parole ? Que je la défends, si jamais un professeur la gronde ? Ca en deviendrait presque risible : je suis totalement accrochée à elle. Mais je ne peux pas penser à autre chose : rien que de l'imaginer loin de moi... C'est insupportable. Voilà pourquoi je ne lui dirai pas. Je ne lui avouerai pas mes sentiments, car je ne suis pas sûre qu'elle ressente la même chose pour moi. Que m'arriverait-t-il, si jamais, elle me rejette ? Si elle me trouve étrange ? Si je lui fais peur ? Si je ne dois plus rester avec elle ? Et parmi toutes ses possibilités, il n'y en a qu'une seule qui m'irait : qu'elle m'aime en retour. Une maigre chance parmi tant d'autres... Je ne peux me risquer de la perdre. Et de me perdre, par la même occasion.

Nous étions donc sortis de la cantine après avoir taquiné Michel, pendant un bon quart d'heure. On s'était assis sur un banc et je discutais avec Pauline, à propos du devoir de mathématiques. Je jettai, par moment, un regard à Amélie, assise à ma droite. Mais lorsque je tournai la tête pour la centième fois, je ne la vis plus. Aussitôt, et sans m'en empêcher, je me relevai brusquement, coupant Pauline dans sa phrase. Je regardai de tous les côtés, la panique s'emparant rapidement de mon corps, avant de retomber : elle était juste partie un peu plus loin, pour discuter avec Enzo. Soupirant de soulagement, je me rassis, sous le regard hébété de Pauline qui s'empressa de me demander :

"Thalya, tu te sens bien ?"
"Hein..? Euh, oui. T'inquiètes."

Elle haussa les épaules, sans vraiment être convaincue. Je me maudis d'avoir été aussi imprudente : qui se mettrait à paniquer comme un adolescent ayant perdu son téléphone, lorsqu'un de ses amis s'est un peu éloigné du groupe ? Ah.. Oui, c'est vrai. Elle est censée être mon amie. Pourtant, elle est plus pour moi. Mais les autres ne savent pas cela...

Amélie discutait toujours avec Enzo : tandis qu'elle semblait rire à ses blagues, Pauline essayait tant bien que mal de me faire écouter son dialogue d'espagnol. Honnêtement, je m'en fichais complétement : je continuai de fixer Amélie et Enzo. Ils semblaient trop proches l'un de l'autre, ce qui me frustra prodigieusement. Eh oui. Tu es un garçon, Enzo. Tu peux l'approcher. Les autres ne trouveront pas cela étrange. Tandis que moi, à peine une marque d'affection, et l'on me montrerait du doigt, comme une bête de foire. Je serrai les poings : c'est une injustice qui m'est intolérable. Parce que je suis une fille, je ne peux strictement rien faire pour lui faire comprendre mes sentiments. A part le dire haut et fort, que pourrais-je faire ? Rien. Juste la regarder, de loin, avec Enzo qui la prend par les épaules et... Attends, quoi ? Il avait bel et bien ses mains posées sur le haut de ses bras. Je dus me faire violence pour ne pas me lever et aller lui encastrer mon poing dans la joue : il est bien gentil, mais hors de question qu'il touche à Amélie. Et n'est-il pas censé sortir avec Pauline ? Les idées s'embrouillèrent dans ma tête. Ils semblaient tous deux parler sérieusement... Du moins, c'était l'impression qu'ils donnaient. Juste avant qu'Enzo ne se mette à rire, comme heureux d'une blague qu'il avait confectionnée et allait bientôt mettre en oeuvre. Amélie, quant à elle, semblait plutôt gênée : elle jouait avec les manches de son sweat, signe qu'elle était mal à l'aise. Puis, elle prit une de ses mèches et enroula son doigt autour : elle était en train de prendre une décision, qui semblait lui coûter. Bon sang, comment est-ce que je peux la connaître aussi bien ? Et qu'est-ce qu'ils manigancent, ces deux-là ?

"Thalya, tu m'écoutes ?"

"Hé ?"

"Sérieusement ? Je dois tout recommencer maintenant.." soupira Pauline avant de me réciter une énième fois sa production orale.

Elleaurait pu me la répéter cent fois, je n'en aurais pas retenu un mot : Amélie etEnzo revenaient vers nous, ce dernier avec un énorme sourire aux lèvres, tandisqu'Amélie semblait vouloir disparaître le plus vite possible. Son attituden'était pas normale : qu'est-ce qu'il avait bien pu lui dire pour la troublerautant ? Je me levai et m'apprêtai à la questionner : un bref instant, sonregard effleura le mien, avant de se détourner rapidement. Une force inconnueme paralysa : elle... Venait de m'ignorer..? M'éviter..? Peut-être nevoulait-elle pas me parler..? Ou alors... Ne voulait-elle pas en parler..? Etquel était-ce "en"..? La sonnerie indiquant la reprise des coursinterrompit mes pensées qui, je l'avoue, étaient encore une fois focalisées surelle.    


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