Chapitre 6

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Le bruit de la pluie s'interrompit brusquement, comme si mes tympans refusaient d'y prêter attention. Les yeux d'Amélie étaient rivés sur les miens, depuis quelques secondes qui me semblaient incroyablement longues. Ses joues étaient devenues, encore une fois, écarlates, semblables aux phares des voitures bravant la pluie. D'un coup, le parapluie tomba lentement. Il rebondit sur le bitume du trottoir avant de rouler quelques mètres, s'arrêtant contre un arbre. Pendant ce bref instant, deux bras m'enlacèrent le cou et Amélie vint se serrer contre moi. Mon cerveau manqua de s'éteindre tant je ne m'attendais pas à ce qui venait de se passer.

"Thalya, je... Je suis tellement désolée..! Tu sais, je ne voulais pas... Mais...! ... Je suis désolée.." arriva t-elle à prononcer malgré les bégaiements de sa voix.

En temps ordinaire, je l'aurais pardonnée. Je lui aurais dit que ce n'était pas grave. Je l'aurais serrée dans mes bras. Je lui aurais caressé la tête pour la consoler. Mais pas là. Pas maintenant.

N'était-elle pas la pire de tous ? Entre Enzo, Pauline et Michel ? N'était-elle pas celle qui me connaissait le mieux ? Celle qui aurait dû leur dire "non, c'est un sentiment duquel on ne peut rire" ? N'était-elle pas celle qui avait été d'accord pour me jouer ce "tour" ? Celle qui s'était enfuie, en m'abandonnant ? Celle qui, à présent, revenait me voir en espérant que je la pardonne ? Penses-tu, Amélie, qu'un câlin suffirait à me faire oublier ma peine ? C'est en m'offrant ce que je désire, que tu penses m'amadouer ? C'est en m'offrant ton amitié, que tu penses satisfaire mon amour pour toi ? Je posai mes mains sur ses épaules, la repoussant non sans douceur.

"Que.. Thalya, je..!" commença t-elle.

"Arrête ça, Amélie –la coupai-je- Tu n'as pas à te forcer pour moi. Ne me trouves-tu pas écoeurante ? N'est-ce pas seulement ta gentillesse qui te pousse à venir me parler ? Ta seule envie, n'est-elle pas de t'enfuir, le plus loin de moi ?"

"Quoi..? Mais non, enfin ! Thalya ! Tu es mon amie et-"

"Oui. Je suis ton amie –mon regard devint soudainement mélancolique et vide, tandis que mon sourire se faisait à présent triste- Mais tu sais, depuis hier, que je ne pense pas la même chose de toi.."

Un silence s'abattit sur la conversation. Amélie gardait la bouche entrouverte, comme pour répondre, mais sans pour autant que des mots en sortent. Elle serra les poings, puis baissa la tête.

"Ce n'est pas ce que tu crois... Tu es plus qu'une amie mais.."

Je m'approchai subitement de son visage, plongeant mon regard devenu froid et neutre dans le sien.

"Plus qu'une amie, hein ? –sa phrase avait réveillé ma colère contre elle. Elle ne sait pas ce que je ressens. Elle ne sait pas ce que je veux dire par "pas une amie". Elle ne sait rien. Bon sang, jusqu'où s'étend son innocence ?- Si j'avais seulement été une amie pour toi, aurais-tu accepté de participer à cette blague ? N'aurais-tu pas repousser l'idée d'Enzo ? N'aurais-tu pas joué avec moi ? –au fur et à mesure que je parlais, son visage semblait se décomposer lentement. La douleur innondait peu à peu ses yeux qui devenaient eux-même humides. Il fallait que je m'arrête- Si jamais tu avais dit "non" à Enzo, est-ce que tu aurais été capable de me dire "je t'aime" de ton plein gré ? M'aurais-tu seulement avoué ces mots, un jour ? –c'est trop, il faut que je me taise. Ses yeux débordent de larmes à présent. Il faut que je me taise. Mais la souffrance prend le dessus et m'empêche de m'arrêter : les phrases blessantes fusent de ma bouche sans que je puisse les contrôler. Ca suffit Thalya. Tais-toi !- Quel était le sens de ce "je t'aime" pour toi ? As-tu seulement une idée de mon envie de l'entendre ? As-tu seulement pensé à "et si jamais, elle m'aimait vraiment ?" ? N'as-tu jamais été aussi égoïste qu'à ce moment-là ? As-tu seulement pensé que c'était une phrase comme une autre, dépourvue de sens ? –Amélie demeurait bouche bée, me regardant à travers les larmes qui tombaient de ses yeux. Je voyais à son expression qu'elle voulait parler, s'expliquer. Mais je ne lui laissais pas le temps. J'enchaînais encore et encore sur ce qu'il s'était passé hier. Je lui criais ma peine. Je lui confessais ce que mon "je t'aime" signifiait, contrairement au sien. Je me stoppai un instant, avant de reprendre, plus bas et les yeux rivés sur le sol- Je ne te pensais pas comme ça, Amélie.. Jamais personne n'avait été aussi proche de moi. Je pensais te connaître. Je pensais que, si je me déclarais un jour, tu me repousserais, mais gentiment. Que tu me demanderais peut-être de rester amies. J'espérais que.. Malgré la douleur d'être rejetée.. On aurait été comme autrefois. –je relevai la tête, contemplant le résultat de mes paroles : son visage était pétrifié, ses joues innondées de larmes et ses yeux semblaient renfermer toute la souffrance du monde. Mais à cet instant, je me fichais d'avoir appuyé sur sa culpabilité. Pour moi, elle n'en avait pas. Elle n'en avait jamais eue- Mais.. Tu ne m'as pas laissé le temps. Tu m'as fait une blague alors que je réfléchissais encore à la manière de t'avouer mes sentiments. Alors, sache que non. Rien ne sera comme avant."

Suite à ces derniers mots, Amélie se jeta à mon cou une seconde fois, s'accrochant désespérément à moi, souhaitant me faire comprendre par les gestes, qu'elle voulait me garder, puisque sa voix ne pouvait traduire ses ressentis. Je la sentis pleurer abondamment contre moi, s'agrippant à mon tee-shirt comme pour me retenir. Je dus me faire violence pour ne pas la prendre dans mes bras et la réconforter. A la place, je la repoussai un peu trop brusquement. Je ne voulais plus de son câlin. Je ne voulais plus de ses bras. Je ne voulais plus de son sourire, ni de sa voix. Je ne voulais plus de tout ça. Désormais, mon coeur réclamait autre chose. "Autre chose" que j'avais pensé obtenir hier. Je retirai mes mains d'elle, les laissant retomber mollement.

"Cen'est pas comme ça que tout ira mieux –lâchai-je d'un ton froid, avant decontinuer, les sanglots coincés dans ma gorge ne me facilitant pas la tâche-C'est en m'assurant que ton "je t'aime" n'était pas une blague."


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