Chapitre 5

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Je rouvris les yeux. J'étais allongée dans mon lit, ce dernier traversé par un rayon de lumière provenant de mes rideaux. Je m'assis, essayant tant bien que mal de me rappeler la journée d'hier. Arf. Je n'aurais pas du me la rappeler. Après m'être effondrée à genoux sur le bitume, j'avais entendu Enzo murmurer un "je suis désolé" avant de s'en aller rapidement, avec Michel et Pauline. Je crois, après leur départ, être rentrée chez moi, à pied. Je ne peux en être sure : mes souvenirs sont flous, comme le lendemain d'une soirée alcoolisée. Le seul moment qui parvint à rester net dans mon esprit est le plus douloureux : lorsque tout s'effondra autour de moi, lorsque mes amis découvrirent qui j'étais, lorsqu'ils apprirent mes sentiments et ma véritable nature. Le reste est tellement incertain que je doutais même du "je t'aime" qu'Amélie m'aurait dit. Je me levai tant bien que mal. A quoi bon ? Une fois au lycée, qu'est-ce que je ferai ? Et s'ils me montraient du doigt ? S'ils le racontaient à toute la classe ? A tout le lycée ? Je me pris la tête entre les mains. J'aurais fait n'importe quoi pour ne plus jamais retourner au lycée. Le regard que mes amis me porteraient, me terrifiait d'avance. Mais le pire serait celui d'Amélie... On était si proche. Aurait-elle l'impression d'avoir été trompée ? Dupée ? Pendant toutes ces années, alors que je restais près d'elle pour la protéger, avait-elle seulement songé à cette possibilité ? Que je l'aime ? Je me retins de laisser échapper un cri de fureur. A la place, je serrai les poings et me levai. Je pris ensuite une douche froide, tandis que mes joues furent réchauffées par mes larmes.

La matinée s'écoula sans encombres : je supposai que mes amis savaient tenir leur langue. Ils n'étaient pas venus me voir et je n'avais pas cherché à engager la conversation. En classe, je m'étais assise à la table du fond, évitant ainsi la possibilité d'être avec Amélie. D'habitude, on s'asseyait toujours à côté ; mais qu'était devenue cette habitude ? Pourrais-je seulement la reprendre un jour...? Je passai mes cours de l'après-midi à maudire ma témérité : j'aurais dû me taire. Si je n'avais pas foncé en entendant ce "je t'aime", qui me semblait à présent lointain et irréel, je n'en serais pas là aujourd'hui. N'aurais-je pas dû lui répondre quelque chose comme "laisse moi y réfléchir" ou encore "qu'entends-tu par ceci ?" Non... Je savais que, même si je pouvais revivre ce moment, je me précipiterais comme je l'ai fait. C'était un espoir, une chance, une perche qu'elle me tendait. Et je l'attendais depuis trop longtemps. Une personne affamée, à laquelle tu te contentes d'offrir de l'eau, se précipitera sur de la nourriture, si tu lui en proposes. Cela paraît logique. Oui, ma réaction était logique. Stupide, mais logique. Je me renfrognai sur moi-même. Je ne voulais pas la perdre... Cette relation que j'avais mis tant de temps à construire. Elle était tout pour moi... Je tournai la tête vers Amélie, l'observant discrètement. Elle me paraissait si loin à présent... Hé, dis Amélie. Est-ce que tu es triste ? Est-ce que tu pourrais m'expliquer ce qu'il s'est réellement passé ? Est-ce que tu tiens à moi ? Est-ce que l'on pourra, un jour, redevenir proches ? Est-ce que je t'effraie ? ... Est-ce que, ce que tu m'as dit, était vrai...?

La journée se termina enfin. En sortant dans la cour, je levai le visage vers le ciel : une averse semblait arriver. Il fallait que je rentre rapidement chez moi si je ne voulais pas finir trempée. J'accélérai alors le pas à cette pensée. Egalement parce que Pauline, Enzo et Amélie arrivaient derrière moi. Je sortis rapidement du lycée, mes pas se faisant plus rapides. A ce moment là, il se mit à pleuvoir. Mince. J'allais quand même être mouillée. Je soupirai, avant de m'arrêter brusquement. Et... Pourquoi devrais-je me dépêcher ? Pour rentrer chez moi ? Et que ferais-je là-bas ? Et demain ? Et la semaine prochaine ? Mon esprit se vida de toute pensée. Je levai la tête vers les nuages gris dont le flux de gouttes s'accentuait. Dites-moi... Quel est mon but à présent ? J'aurais beau chercher, où pourrais-je trouver ma motivation ? Qui fera mon bonheur ? Qui pourra me supporter ? Qui pourrais-je protéger ? La haine envers moi-même fut submergée par ma douleur. J'aurais voulu m'effondrer une seconde fois. M'évanouir. Disparaître. Ne plus exister. Ne plus rien ressentir. Tous ces sentiments négatifs... Ils me broyaient de l'intérieur. Argh, pitié... Quelqu'un.. A l'aide. Amélie.. S'il-te-plaît...

Une ombre se plaça au-dessus de ma tête. Que..? Un bref instant me suffit pour comprendre que c'était un simple parapluie. Je me retournai pour voir qui m'abritait : elle tendait le parapluie à bout de bras car j'étais plus grande qu'elle, tout en cachant son visage dans sa manche trop longue. Amélie s'efforçait de détourner le regard. Je sus, à ses mains tremblantes, qu'elle était gênée. Je continuai de la fixer, en me demandant pourquoi elle était venue vers moi. Ne lui faisais-je pas peur ? N'avait-t-elle pas compris mes sentiments ?

"T.. Tu... -commença-t-elle- ... Vas attraper froid.. Il vaut mieux que... -Elle leva lentement les yeux vers moi, son regard noisette plongeant dans le mien- Tu ne sois pas malade..."

En temps ordinaire, j'aurais presque saigné du nez devant cette vision idyllique. Mais étrangement, je ne pus que sourire tristement. Cette phrase... La nostalgie me prit à la gorge : à chaque jour de pluie, je la lui répétais encore et encore, jusqu'à ce qu'elle accepte de s'abriter sous ma veste. Et tandis qu'elle faisait semblant d'être agacée, je riais aux éclats devant sa réaction enfantine. Parfois, elle inversait la tendance et murmurait une réponse qui me faisait perdre tous mes moyens. Une réponse adorable parmi les plus adorables. Et pour une fois, je fus celle qui la prononça :

"Jesais que tu seras là, si jamais c'est le cas."


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