Prologue

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Eden

L'obscurité de la nuit commençait à envelopper les environs alors que j'atteignais le sommet de la forêt de Wichpon. Cette forêt, que je connaissais que trop bien. Que ce soit pendant mon enfance, lorsque je vivais dans le village de Sohacre, ou depuis que je me suis installé à Norwich, je passais la majorité de mon temps dans cette étendue d'arbres.

Pas nécessairement parce que j'aimais la nature, bien que je l'apprécie. Pas non plus parce que j'adorais les promenades. La seule raison pour laquelle j'y venais si souvent était que les moments les plus heureux de ma vie s'étaient déroulés ici. Les seuls moments heureux.

Pour moi, les arbres n'étaient pas de simples troncs massifs qui s'enchaînaient mais plutôt des tableaux évoquant des parties enfouies de mes souvenirs. Je respirais bien quand j'étais ici, mais ce n'était pas pour la même raison que les autres personnes. Ce n'était pas l'air frais qui m'apaisait, c'étaient ces souvenirs.

Alors que je traversais le parking pour voiture, enjambant un petit rebord en bois, je suivis le sentier balisé tout en essayant de refouler les questions qui me tourmentaient l'esprit. Les mêmes que je me posais depuis des années.

Qu'est-elle devenue ? Est-elle devenue une belle femme ? Quelle question, elle l'était sûrement. Peu importe comment j'imaginais son visage d'adulte, elle était la plus belle femme qui puisse exister. Est-elle heureuse ? Se souvient-elle de moi ? M'a-t-elle cherché ? Me déteste-t-elle ?

Beaucoup trop de questions mais aucune concernant sa potentielle mort. Car je refusais de laisser sa chance à cette possibilité. Elle était vivante et jamais je n'accepterais le contraire. Il n'existe pas un monde où je suis vivant sans qu'elle l'est également.

En enfonçant mes mains dans les poches de mon pull, je m'écartai du sentier pour me fondre parmi les arbustes. Plus loin se dressait le vide et j'en étais conscient.

Une fois parvenu au bord du précipice, je m'arrêtai brusquement. Mes mains sortirent de mes poches et je les serrai fort.

Un soupir s'échappa de ma bouche.

Ma mission, comme celle de tous les autres Maléfiques d'ailleurs, était de m'entraîner à voler. Je savais très bien pourquoi elle souhaitait que nous sachions tous maîtriser cela. Le coup d'état. La mort de tous les sorciers, d'ici six mois. Et je serais encore son pion, sa marionnette qui fera tout pour elle, tandis qu'elle se cachera dans l'ombre.

Merde. Chaque fois, je me disais qu'elle ne pouvait rien me demander de pire, mais chaque fois, elle parvenait à me surprendre à nouveau. Toutes les horreurs qu'elle m'a demandé de commettre... Et pas une seule fois elle m'a ordonné de mettre fin à mes jours. L'épreuve que j'attendais le plus, pourtant.

Pas un seul jour n'est passé sans que je me souhaite la mort. Pas un seul jour n'est passé sans que je chasse cette idée de la tête, car l'espoir de retrouver Crystal, bien qu'il soit aussi petit qu'une poussière désormais, pesait quand même plus lourd sur la balance.

Je contemplais le ciel étoilé. Cet espoir, si minime, s'est finalement éteint. Il aura fallu dix-sept ans. Ça paraissait si simple, dit comme ça. Alors, je rectifiai. Six mille deux cent soixante-huit jours où j'ai senti mon âme mourir en moi.

Je veux être égoïste.

Crystal, vivante ou non, m'en voudrait-elle si je me détestais à ce point ? Au point de vouloir disparaître.

Je veux mourir.

M'entraîner à voler pour le jour où je lancerais une attaque contre tous les sorciers... Voilà ma vingtième tentative pour ce soir, et la dernière pour toujours.

Le Coeur d'Eden | Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant