33 | J'ai eu une belle vie, maman

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Eden

Maman...

Crystal et moi avions chacun vu nos mères.

Elle était défunte, mais sa beauté rayonnait toujours. La dernière image que j'avais d'elle était son corps ensanglanté, si l'on excluait la photo que la sorcière Isidore m'avait montrée.

Quel bonheur c'était de la revoir avec un sourire si joyeux et une aura qui semblait irradier la chaleur même au-delà de la mort.

C'est vraiment toi ?

Elle scruta ses mains et son corps. Comparé au mien, bien réel et concret, le sien était plus abstrait, comme si je la regardais à travers un écran.

C'est une sensation étrange, mais je crois que c'est bien moi. Quel est donc ce sortilège ?

Maman...

Ma gorge se noua immédiatement, les mots semblaient coincés, comme des prières soufflées à travers une brume épaisse.

Je suis désolé, maman.

Elle fut surprise.

C'est à cause de moi que papa et toi... Vous vous êtes sacrifiés pour me protéger. Je vous ai vus... Tous les deux, morts pour moi. Pourtant, vous aviez tous les deux des ambitions et des projets. Vous méritiez tous les deux de vivre, alors pourquoi ?

J'avais tellement eu besoin de lui parler depuis toutes ces années, j'avais accumulé tellement de choses que je n'ai pas su m'arrêter, comme une rivière en crue qui emporte tout sur son passage.

Maman, j'ai parlé avec la sorcière Isidore, ta professeure lorsque tu étais encore célibataire. Ton rêve était de devenir une sorcière guérisseuse et de soigner le plus de personnes possible. Alors pourquoi as-tu tout quitté pour moi ? Tu... Tu aurais dû te concentrer sur ton rêve et ne pas faire d'enfant ! Tu n'aurais pas eu à te sacrifier pour me protéger !

Pour être honnête avec toi, je n'avais jamais voulu me marier et enfanter. Mon objectif a toujours été d'accomplir mon rêve et de travailler dur pour les miens.

Elle s'approcha, comme si elle tentait de combler cette distance entre nous, cette séparation entre le monde des vivants et celui des morts.

Mais le jour où j'ai appris qu'un petit bébé grandissait en moi, toutes mes ambitions précédentes sont passées au second plan. Et lorsque j'ai enfin pu rencontrer ce bébé, lorsque tu as enroulé tes petits doigts autour du mien, j'ai compris que ma seule ambition était de te rendre le bonheur que tu m'as apporté avec ta naissance.

Maman...

Je n'arrivais plus à me contenir, des larmes chaudes ont coulé malgré moi.

Je suppose que je ne peux pas te prendre dans mes bras, vu que je ne suis qu'une âme...

Néanmoins, elle se mit sur la pointe des pieds et fit mine de me caresser les cheveux, une caresse intangible qui apaisait les tourments de mon cœur meurtri. Même si je ne sentais pas sa peau, voir le regard et le sourire chaleureux de ma mère me fit l'effet d'un baume au cœur.

La dernière fois qu'elle m'avait caressé de cette manière, j'étais petit et lui arrivait à peine au niveau du ventre. Je la voyais comme mon repère, comme un bouclier assez puissant pour me protéger de tout et n'importe quoi.

Désormais, j'étais beaucoup plus grand qu'elle. Je voulais la cacher dans mes bras et sous ma cape pour ne pas qu'elle retourne dans son monde. Et pourtant, je la voyais toujours comme un repère, comme un bouclier qui me protégeait de mes tourments.

Mon petit chéri, tu as tellement grandi. Sache que je ne regrette absolument rien. Ni de t'avoir mis au monde, ni d'avoir quitté ce monde pour toi. Regarde-toi, sais-tu au moins quelle fierté c'est d'avoir un fils comme toi ?

Mais j'ai détesté grandir sans toi... J'aurais aimé que tu sois à mes côtés. J'aurais aimé que tu puisses continuer à me caresser les cheveux durant toutes ces années.

Je suis désolée de t'avoir abandonné à un si jeune âge, Eden... Je suis désolée de ne pas avoir pu veiller sur toi. J'espère au moins que tu as eu une belle vie, même si je n'étais pas là. J'espère que cela a servi à quelque chose et que tout s'est bien passé par la suite pour toi.

Une belle vie... Je n'en avais pas eu. Je voulais le lui dire, je voulais me confier à elle et pleurer dans ses bras ; j'ai été enlevé le jour-même, maman. J'ai subi de la torture jusqu'à cet âge-là, chaque jour marqué par la douleur physique et émotionnelle, chaque instant teinté de la tristesse de ton absence. On m'a tout pris, on m'a tout enlevé. Je n'avais plus d'avenir, plus d'espoir. J'ai vécu une vie de merde, maman, en plus de t'avoir perdue. J'ai voulu mourir plus d'une fois mais je n'en ai même pas été capable.

J'ai eu une belle vie, mentis-je. J'ai grandi aux côtés de Crystal et j'ai perfectionné ma magie à l'école, tellement que l'on m'a appelé « le sorcier le plus puissant ». Je n'ai jamais cessé d'aimer Crystal et je l'ai finalement épousée. Je suis heureux, j'ai toujours été heureux, mais je n'ai pas passé un seul jour sans penser à toi et à papa.

Son sourire s'élargit, illuminant son visage d'une tendresse infinie. Elle était une maman morte avec de l'inquiétude pour son fils qui lui rongeait le cœur.

Voilà donc la preuve qu'il valait le coup de te protéger jusqu'au bout, mon fils.

Elle était une maman, forcément, même lors de son dernier souffle, elle pensait à moi et espérait que je puisse avoir une belle vie après cela.

Tout ce que j'ai toujours voulu, c'était que tu sois heureux et que tu aies une belle vie en grandissant, mon chéri.

Elle était ma maman et m'aimait au point de mourir. Je ne pouvais pas simplement lui dire les souffrances que j'avais vécues et la renvoyer ainsi. Je ne voulais pas qu'elle soit morte pour rien.

En dehors de ce sortilège, je n'ai pas vraiment de conscience, mais tu peux être sûr que je reposerai en paix à partir de maintenant. Je suis fière de toi, mon fils. Et je suis fière de t'avoir eu comme fils. Ton père et moi, on t'a toujours aimé et on continuera de t'aimer même dans la mort.

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Spoiler: j'ai pleuré

Le Coeur d'Eden | Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant