Savoir couper les mauvaises herbes - Partie 1

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S a v o i r   c o u p e r  l e s   m a u v a i s e s  h e r b e s

 L'aventurier se réveille avec un poids sur la poitrine. Son estomac est comprimé. Il ressent l'envie de vomir. Il ouvre précipitamment sa tente et régurgite la bile coincée jusqu'alors dans sa gorge. Manger est sa priorité. Retrouver des forces, potentiellement. Paré de gestes lents mais méticuleux, Gaël remballe son attirail. Ce matin il n'a aucune volonté. La tristesse s'est installée telle des gouttes de pluies. D'abord un peu de bruine puis drastiquement des torrents. Inondation dans son cœur. Pas de sauveteur aux alentours pour l'extirper d'une noyade. À lui d'être ses propres brassards.

Ce sont ses jambes qui commandent et qui lui permettent de reprendre la route. Ses pensées sont ailleurs. Auprès de sa mère et du souvenir qu'elle a laissé derrière elle. Elle est partie. Ça, il l'a bien compris. Et elle ne reviendra pas. Ça aussi il l'a enfin avalé. Digérer la pilule ? C'est encore une autre histoire. Il n'est pas sûr d'y arriver et c'est carrément ok. Fini de se culpabiliser de ne pas guérir rapidement. Il chemine à son rythme. Il fait ce qu'il peut avec ce qu'il a.

Le paysage défile. Après la mer et la campagne, le voilà arrivé dans un village arborant un style médiéval. L'entièreté des habitations se composent de pierres. L'architecture est plutôt ancienne mais c'est un charme que Gaël apprécie. Avant d'entrer dans le bourg, il aperçoit le nom de la ville sur un panneau. Il est écrit : « Locronan ». Son ventre tressaute. Il avait déjà eu vent de cette destination. C'est un lieu réputé pour ses illuminations lors de la période de Noël et chaque année il se dit qu'il irait. Son souhait est à présent exaucé malgré le fait que l'hiver soit encore lointain. Les odeurs le frappent de plein fouet pour son plus grand bonheur : les senteurs de savon, d'encens, de fleurs, et de douceur viennent caresser son odorat. « Tu aurais adorée venir ici maman... ». Les commerces du bourg, quant à eux, se fondent parfaitement dans le décor et arborent des petits panneaux comme à l'époque. Gaël a très envie de s'attarder ici mais avant tout son corps crie famine. S'il n'avale pas un repas, il pourrait bien s'évanouir. Il choisit de s'installer sur la terrasse d'une crêperie où un groupe de marcheurs a pris place depuis un bon moment. Alors qu'il s'assoit en retrait pour ne point les déranger, une femme le salue et lui propose de les rejoindre. Gaël hésite. Est-il prêt à mettre de côté sa peine quelques instants ? Finalement il parvient à troquer sa casquette de fils endeuillé pour celui du randonneur acharné.

- Bonjour ! Moi c'est Maryline. Toi aussi tu es en road-trip ? Se présente la jeune femme venue à sa rencontre.

- Hey. Euh pas vraiment. Je suis plutôt en randonnée mais à durée indéterminée. Feint-il à esquisser un léger sourire.

- Ok je vois, cool ! Je te présente Charles, notre doyen. Ici tu as Gaëtan, mon chéri. Stephan, avec la longue tresse, et Alice, juste en face de toi. Montre-t-elle du doigt une jeune femme toute menue qui a sûrement le même âge que lui.

- Enchanté tout le monde. Je m'appelle Gaël. Quel est le but de votre voyage exactement ? S'enquit-il réellement intéressé en s'asseyant.

- On n'en a pas vraiment si ce n'est qu'on aimerait faire le tour de la France. Il y a deux jours on était en Normandie à visiter le Mont-St-Michel. Explique Gaëtan avec entrain. D'ailleurs, débat : à votre avis il appartient aux bretons ou aux normands ?

- Ah non tu n'vas pas remettre ça ! Fait mine de râler l'ancien.

Pendant que la conversation se construit naturellement, une serveuse s'enquiert de la commande de Gaël qui ne lésine pas sur la nourriture. Il a commandé deux crêpes : une complète et une savoyarde. Une fois les plats entre ses mains, le nouvel arrivant se jette dessus tout en écoutant les autres raconter leurs récits de voyage. Alice est une fille plutôt discrète, attentive, qui ne prend la parole que si elle juge cela nécessaire. Gaël n'arrive pas à la quitter des yeux. Le reste du groupe s'écarte pour aller fumer une cigarette. Il n'y a plus qu'eux deux.

- Et toi ? Pourquoi cette aventure ?

Il chancèle. Est-il en état à évoquer le décès de sa mère ? Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

- J'ai récemment perdu ma mère. Déglutit-il.

Il réalise que ce n'est pas si difficile de le dire. Il s'en étonne même.

- Donc chaque jour je tente de composer avec son décès. Reprend-t-il en triturant la poche de son short. Mais je tournais en rond chez mon père. J'avais besoin de prendre l'air, me vider la tête, aussi. J'ignore combien de temps encore je marcherais.

- L'essentiel n'est pas la durée d'un voyage. C'est ce que l'on en retient, ce que ça nous rapporte intellectuellement... Je suis navrée pour ta maman. Je te souhaite de tout cœur de te réconcilier avec la vie.

Elle a touché juste. C'est contre le monde entier qu'il en veut. Contre ceux qui ont encore leurs parents tout près d'eux. Alice semble très perspicace. Gaël trouve cela plaisant.

- Si tu es partant tu pourrais nous rejoindre. On se considère un peu comme un groupe thérapeutique. Tu vois, Gaëtan et Maryline ont perdu leur bébé il y a un an de cela. Stephan a vécu une rupture douloureuse. On se soutient comme on peut. Pas de jugement. Uniquement des encouragements mutuels. Sache que ce n'est pas pressé. Tu n'es pas obligé de donner une réponse de suite. Prends le temps de réfléchir.

- Et Charles ?

- Charles n'en parle pas. Mais il nous conte les bienfaits de nos escapades. C'est le plus important. Ici tu n'es pas obligé de nous livrer tes douleurs. Mais ensemble on peut se soutenir. Ensemble, on va plus loin. Personne ne laisse l'autre sur le bas-côté de la route.

- Alice a parfaitement bien résumé la situation. Intervient Maryline revenue une fois sa cigarette consumée. Avec Gaëtan on se devait d'agir. On a pris au départ notre van et on a énormément visité les alentours de notre région. On a croisé pas mal de personnes et en discutant avec elles nous nous sommes rendu compte que chacune a son histoire et son lot de souffrances. Donc pourquoi pas partager un p'tit bout de chemin ? Certains sont venus puis repartit, d'autres sont là depuis un bon moment, comme Stephan par exemple. En tout cas, tu es le bienvenu parmi nous.

- Ce serait avec plaisir. Accepte Gaël, ému.

L'après-midi se poursuit sans encombre. Le nouveau membre apprend petit à petit à connaître les convives. Maryline et son mari ont acheté un camping-car pour faciliter les grands déplacements. En revanche les tentes sont déployées la nuit faute de manque de places dans l'habitacle.

Charles est en train d'alimenter le feu pour faire un barbecue tandis qu'Alice prépare une salade grecque. Stephan converse avec Gaëtan pendant que son épouse prend une douche. Gaël est assis sur l'herbe. Il songe. Il se sent tranquille parmi eux bien qu'il vienne seulement de les rejoindre. Alice a globalement donner les raisons de pourquoi ils sont là, mais elle n'a pas parlé d'elle. Cependant il n'ose pas l'interroger de peur de la brusquer. Il se risque un coup d'œil dans sa direction. Ses cheveux blonds volent au vent, soulevant un doux parfum de framboise.

L'idée de les accompagner pendant plusieurs jours n'est pas mauvaise. Être entouré et agir l'évitera de trop ruminer et regretter. Pourtant il ne peut s'empêcher de se sentir triste. Il ravale difficilement ses larmes lorsque Charles vient s'asseoir à côté de lui à même le sol.

- Je comprends un peu ce que tu ressens, gamin. Rassure-toi, je ne vais pas te sortir toutes ces phrases bateaux auxquelles on a le droit après la perte d'un être cher. Tu peux pleurer autant qu'tu veux, gueuler autant qu'tu veux mais si tu t'bouges pas le cul ça n'servira à rien. T'as déjà perdu quelqu'un, vas pas te perdre toi-même. Lui enseigne-t-il accompagné d'une tape amicale dans le dos. Ici te r'tiens pas. On jugera pas. On s'rait sacrément con si on le faisait. Quoi qu'il en soit, nous on est là.

- Merci beaucoup Charles. J'apprécie la démarche.

- Oh y'a pas d'quoi. Malheureusement des p'tits gars comme toi y'en a partout. Bon c'est p't'être maladroit la façon dont j'ai balancé ça. Là où j'veux en venir c'est que beaucoup passent par l'étape du deuil, nous les premiers, tiens. Pourtant on est encore debout. Ce groupe est une béquille. Accepte l'aide qu'on t'offre. Repose-toi un peu avant de t'envoler à nouveau !

Une fois le repas dévoré, Gaël s'éclipse pour aller se coucher dans sa tente. La journée a été longue bien qu'inspirante. Il s'endort, vidé d'une bonne fatigue et s'étonne même de sourire, reconnaissant de sa rencontre. 

Les Hortensias [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant