Quelques temps plus tard ils décident de prendre campement à la Pointe, un camping à une trentaine de minutes de la ville. Le soleil décline doucement annonçant le début d'une soirée légère. Après avoir avalé un bon repas, ils partent se coucher dans leur tente respective. Demain est un autre jour. Mais Gaël ne peut fermer l'œil. Il se repasse en boucle le décès de sa mère : l'appel de son père qu'il n'a pas cru, ou qu'il n'a pas voulu croire, lui prenant la voiture, démarrant au quart de tour pour partir en direction de l'hôpital, puis la voir sur le lit blanc, yeux fermés, bouches pincées, ne respirant plus. Lui aussi a perdu le souffle en la voyant là, devant lui, morte. Son père l'a regardé avec un air de chien battu, désemparé. Désormais Gaël sait que tout repose sur ses épaules. Puis vint le temps d'annoncer la nouvelle au restant de la famille, les nombreux appels, les déplacements, les embrassades mouillées, les pleurs désespérés, l'organisation des obsèques. Ensuite l'heure de l'enterrement, le mauvais temps, la musique, le son assourdissant des cœurs qui se brisent. Les miettes, les morceaux qui scalpent le cœur et le corps. Les suffocations de l'âme. Sans oublier le pré-enterrement. Personne n'évoque cet avant ni ses conséquences : l'argent astronomique dépensé, l'organisation monstrueuse, la préparation du corps... Cela a été un choc pour le fils de devoir renseigner le thanatopracteur sur comment habiller et maquiller sa mère. Son père en était incapable, pétrifié. Au moment de la mettre dans le cercueil, elle paraissait avoir dix ans de moins. Le visage lisse, dénué de rides. Pourtant, tout est trompeur. Son sommeil est éternel. Gaël était tétanisé à l'idée qu'elle se réveille...
A présent, tout ce que sait faire Gaël c'est pleurer. Pleurer, marcher, c'est extérioriser. C'est vouloir pulvériser un trop plein. Et bon sang que ça déborde en ce moment ! Le tsunami ne l'a pas loupé. La marée ne cesse de monter sans jamais faire marche arrière. Ses remparts subissent l'érosion, ne résistent pas. Non. Il ne veut pas souffrir encore et encore. Gaël enfile précipitamment un jogging et ses chaussures pour partir courir. S'aérer. Se vider. Seulement dehors il fait nuit et l'éclairage se fait de plus en plus rare en quittant les ruelles. Il ne voit pas l'énorme masse rocheuse à une dizaine de mètres de lui sur une route terreuse. La chute est inévitable. Il tombe par terre, se tordant la cheville. Enragé il hurle toute sa haine, il conteste, il est en désaccord. Pourquoi ?! Pourquoi toi putain ? Réponds-moi ! Réponds-moi maman ! Pourquoi nous as-tu abandonné papa et toi ? On avait besoin de toi !!
Les sanglots se bloquent dans sa gorge. Il n'ose plus bouger ou respirer. Il s'attrape les chevilles malgré sa douleur et se bascule d'avant en arrière. Pour lui, cela lui semble des heures dans l'obscurité, dans l'incertitude, dans la solitude.Alice ne dort pas. Elle se remémore son périple. Elle est fière de son parcours. Fière d'avoir su guérir. Fière de s'aimer, fière d'apprendre à se connaître et d'apprécier cela. Elle a envie de partager son expérience au monde entier. De prouver que l'on est capable, qu'il faut dépasser ses croyances limitantes. C'est pour cela qu'elle est auprès de cet homme pour l'instant aveuglé par le chagrin. Elle aimerait l'épauler. D'ailleurs, en parlant de lui, elle entend le zip de sa tente s'ouvrir. Il a dû partir se balader. Pas étonnant. Alice n'aurait pas dû aborder ce sujet si sensible. Ils se connaissent à peine... C'est lui qui doit s'ouvrir, tendre une perche pour qu'elle puisse aborder ça en douceur. Elle soupire. Ça ne sert à rien de culpabiliser. C'est passé. Elle n'y peut rien.
Voilà une heure qu'il est partit et qu'elle n'a pas osé s'endormir. Pas tant qu'il reviendrait. Néanmoins il n'y a toujours aucun de signe de vie. Elle s'inquiète, se demandant quoi faire. Des minutes d'angoisse s'écoulent. Et s'il avait commis l'irréparable ? Ni une ni deux, elle s'empare d'une lampe torche et part à sa recherche, pieds nus. Elle fait d'abord le tour du camping et ne voyant que des chats se balader, elle continue sa route. Plus loin, sur un chemin terreux, elle aperçoit des traces de pas. Alors elle accélère ses mouvements, morte de trouille.
VOUS LISEZ
Les Hortensias [TERMINÉE]
Cerita PendekDans un petit village breton, par une matinée humide de larmes et de pluie, Gaël enterre sa mère chérie. Il tente par tous les moyens d'aller de l'avant. Mais comment vouloir avancer lorsque son pilier de vie n'est plus ? Comment faire le deuil d'un...