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— Œil de triton ?
— Oui.

Sirius tend le bocal à Remus, qui le saisit sans un merci. Entre les deux, les tensions ne sont pas redescendues et l'air est lourd de reproches. Il a pourtant été impossible de changer les duos de potion instaurés en début d'année. Et depuis le commencement du cours, le ton est amer.

— Continue de touiller, je dois vérifier quelque chose, ordonne sèchement Remus.

Sirius récupère la cuillère en bois sans broncher. Le liquide prend lentement une couleur bleu clair. Remus feuillète attentivement le manuel.

Sirius voulait s'excuser plus tôt. Vraiment, il en mourrait d'envie – notez l'ironie. Il n'en a simplement jamais eu l'occasion. Le soir de sa discussion avec Marlène, Remus n'est rentré que tard dans la nuit. Le lendemain matin, il n'a pas sorti son nez de ses révisions. Le reste de la soirée, il l'a passé dans les jupes d'Hestia. Ce schéma s'est répété plusieurs jours jusqu'à cet après-midi, où débarrassé de tout obstacle, Sirius tente de l'approcher. Mais les regards noir et les remarques acerbes que Remus lui lance depuis le début du cours l'en dissuadent.

— Dès que j'aurai mis la feuille de chêne, il faudra que tu jettes un sort de refroidissement, explique Remus en reposant le manuel.
— Ok.
Immédiatement, c'est impératif. Je sais que t'as l'habitude de tout faire foirer mais les Buses se rapprochent et je ne peux pas me permettre une mauvaise note.

Sirius ne relève pas la remarque, bien qu'il la trouve méchante et gratuite. Remus cache bien son jeu derrière ses sourires innocents, il sait être abjecte.

— Trois, deux, un..

Remus laisse tomber la feuille de chêne. Sirius lance son sort de justesse. La potion tourne au bleu nuit ; elle est réussie. Slughorn en récupère une partie dans une petite fiole en verre avec un signe de tête satisfait. Quand la cloche sonne, Remus attrape son sac et se précipite à l'extérieur. Sirius s'élance à sa suite, déterminé.

— Moony.

Remus traverse les couloirs bondés sans se retourner. Sirius peine à le suivre.

— Moony !
— Qu'est-ce que tu veux ? M'insulter encore une fois ?
— C'était juste pour rire..
— Ah. C'est vrai que c'est la franche rigolade, là.

Remus s'arrête brusquement pour faire face à Sirius. Le brun manque de lui rentrer dedans. Ils se toisent un instant. Autour d'eux, les élèves affluent vers leurs salles communes respectives.

— Désolé, dit piteusement Sirius. J'ai fait le con.
— Ouais, ça tu peux le dire.. Bon, viens, on s'entend pas ici.

Remus reprend son chemin. Sirius s'empresse de le suivre. Ils montent plusieurs étages jusqu'à une salle de classe vide, où Remus jette son sac sur un bureau en soupirant. Sirius referme la porte derrière eux. Regards timides. Silence pesant.

— Explique moi, exige soudain Remus.
— Expliquer quoi ?
— Pourquoi tu m'as fait ça ?

Sirius se gratte la nuque, hésitant. Remus se hisse sur un pupitre, laissant ses jambes pendre dans le vide.

— Alors ? Insiste-t-il.
— J'sais pas.. J'étais énervé.
— Énervé ?
— Ouais. J'étais au courant de rien et t'as juste.. débarqué avec elle.
— J'ai le droit d'avoir une vie privée ou c'est trop demandé ?
— Tu sais bien que c'est pas ça..
— C'est quoi, alors ?
— C'est juste qu'on cache pas ce genre de choses à ses meilleurs potes.

Remus roule des yeux mais son masque d'indifférence commence à se fissurer, Sirius le sait.

— T'étais juste jamais là, se justifie Remus. Et puis c'est gonflé de ta part, tu ne me racontes jamais rien non plus.
— Oh, tu veux que je te parle de ma vie amoureuse ?
— Tu sais quoi ? Laisse tomber. C'est pas une vie amoureuse que t'as, c'est une liste de courses.

Ils échangent un regard avant d'éclater de rire. Ce n'est pas tellement de l'amusement, c'est juste du soulagement. Ce rire il veut dire, peu importe ce qu'on traversera, on reviendra toujours l'un à l'autre. Sirius n'y a pas prêté attention, mais il s'est considérablement rapproché. Il se tient presque debout entre les jambes légèrement écartées de Remus, toujours assis sur le pupitre.

Et, sans trop savoir pourquoi, peut-être parce que le sourire de Remus est si beau ce soir, Sirius se penche vers lui. Leurs lèvres se rencontrent avec douceur. Une simple caresse qui voudrait se faire plus pressante. Sirius sent tout son corps s'électriser, c'est comme si il avait attendu toute sa vie. Il tuerait pour en avoir un peu plus, mais Remus se recule après quelques instants, étonné.

— C'était quoi ça ? Demande-t-il avec un petit rire nerveux, portant deux doigts à ses lèvres.
— Un baiser.
— Je sais bien mais..
— Un baiser de la paix. Je t'ai pas serré la main, je t'ai embrassé.
— Ah ?
— C'est très courant à.. en Asie centrale !
— D'accord..

Remus se lève lentement, frôlant Sirius, et marche jusq'au bureau où il a laissé son sac, le jetant négligemment sur son épaule. Il a le regard dans le vague, les gestes d'un automate. Sirius se mord les joues.

— C'est très bien que tu sois ouvert aux différentes.. cultures, dit-il après une minute interminable. Mais tu vois, ici c'est l'Écosse, pas l'Asie centrale. Donc si ce.. baiser de paix, pouvait rester entre nous et ne surtout pas arriver aux oreilles d'Hestia, ce serait pas mal ?
— Pas de problème, glapit Sirius.

Remus a plus l'air sonné qu'énervé, ce qui rassure Sirius. En plus de ça, il ne dit pas avoir détesté ce baiser. Remus est sur le point de quitter la salle quand Sirius sent un élan de confiance le pousser.

— On devrait se disputer plus souvent, lance-t-il.

Remus le regarde un instant, sourcils haussés. Quand il comprend l'allusion, il se détourne bien vite, mais Sirius jure avoir vu des rougeurs colorer son visage.

Le soir venu, Marlène profite de la courte solitude de Sirius pour se glisser sur l'accoudoir de son fauteuil. Il feint de lire son livre mais elle lui prend des mains et le lève hors de sa portée.

— Comment ça va, avec Remus ? demande-t-elle.
— Bien, répond-il avec ennui.
— Bien ?
— Mieux que tu ne peux l'imaginer.

Marlène attend la suite mais elle ne vient jamais. Sirius fixe l'autre bout de la salle d'un air rêveur. Remus mordille un crayon, concentré sur son devoir. Il relève la tête et adresse un sourire timide à Sirius. Désolée Hesita, tu vas devoir céder ta place.

moonlight loversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant