moonlight lovers

06

[ tw : homophobie ]

Le plan a marché à merveille. Quand Rusard ouvre la porte du cagibi pour le troisième soir de suite, les chaudrons rouillés brillent toujours d'un éclat d'argent. Le vieux concierge n'y prête même pas attention. Remus et Sirius ont juste à s'assoir dans un coin de la pièce pour attendre l'heure passer.

- Je ne savais pas que tu fumais.

Assis sur le rebord d'une fenêtre, Sirius fait glisser une cigarette hors de son paquet, et l'allume en un claquement de doigts.

- Ça m'arrive. Pas toi ?

Remus se hisse lui aussi sur le rebord de la fenêtre, et laisse une jambe pendre dans le vide.

- Ça m'arrive. Avant les pleines lunes, surtout. Ça m'aide.
- Mmh ? Moi qui pensait que tu te contentais de lire L'histoire de Poudlard pour la cinquantième fois.

Remus rit et lui donne un petit coup de pied vengeur. Il lui prend sa cigarette des mains et en tire une bouffée, masquant difficilement une quinte de toux. La fumée s'élève par la vitre ouverte, dispersée par la brise.

- T'es sûr que t'as déjà fumé ? Ricane Sirius.
- Non, je plaide coupable.
- Alors tu lis bien l'histoire de Poudlard ?
- Oui..

Sirius rit, récupère sa cigarette et la fait rouler entre ses doigts fins. Il regarde ceux de Remus, tannés par le soleil, abimés par le temps et ses cicatrices, qui jouent distraitement avec un fil de son pull. Il résiste à l'envie de les toucher, de les emmêler aux siens.

- Pourquoi tu me regardes comme ça ? Demande Remus en passant une main dans ses boucles

Sirius détourne les yeux, embarrassé, et tire sur sa cigarette, posant ses lèvres là où celles de Remus se renfermaient quelques instants plus tôt. Un peu comme un baiser sans se toucher.

- Désolé, dit-il finalement.
- Non, c'est..
- C'est quoi ?

Remus soupire, cherche son regard fuyant sans le trouver.

- Je te comprends plus en ce moment.
- Je ne me comprends plus non plus, Moony. Mais est-ce que je me suis déjà compris un jour ?

La question reste sans réponse. Sirius écrase sa cigarette sur la pierre, laissant une traînée de cendres noires. Ils regardent le soleil se coucher au loin, la teinte irisée du ciel, la lune encore blafarde qui ne tardera pas à apparaître complétement.

- Quand est la prochaine pleine lune ? Demande Sirius.
- Dans trois jours.
- C'est la deuxième qu'on passera avec toi..

Remus arrache le fil de son pull en laine d'un geste angoissé.

- Ouais. Je n'aime pas que vous fassiez ça.
- Ça s'est bien passé la dernière fois, non ?
- Ça pourrait mal tourner. Et je ne pourrais pas vivre avec ce poids sur la conscience.
- Ce qui est fait est fait, Moony. On est quand même pas devenus des animagi pour rien !
- Je ne vous ai rien demandé, moi !

Remus regrette aussitôt ses paroles tranchantes, levant des yeux coupable sur le visage déconfit de Sirius.

- Pardon. Je sais que vous y avez consacré beaucoup de temps. J'ai juste tellement peur de vous faire du mal.
- Tu ne nous feras pas de mal. Promis.

Sirius pose sa main sur son bras, dans un geste rassurant. Remus sourit, un peu faiblement, creusant une fossette dans sa joue droite. Sirius ravale son envie de l'effleurer. Si j'avais été une fille, il y aurait peut-être eu une place pour notre amour dans ce monde.

✮

La soirée est bien avancée. Il ne reste que quelques Gryffondor dans la salle commune, rassemblés sur les fauteuils près de la cheminée. Ils discutent au milieu de parties d'échecs entamées, de paquets de bonbons vides, assis sur les tables et les tapis.

- Vous avez entendu ce qu'il s'est passé ? Demande soudain James en feuilletant une revue de Quidditch.
- Non, quoi ?
- Ce mec de Serdaigle, Mark, paraît qu'il a embrassé un gars.
- Quoi !?
- Ouais. Dégeu hein ? C'était un mec cool en plus, je comprends pas qu'il ait mal tourné.

Sirius se terre dans son canapé, honteux, comme si il était celui qui avait été pris en flagrant délit. Les autres écoutent James en silence, le mépris se peint sur certains visages.

- C'est si mal que ça ? Demande Peter d'une petite voix fluette.
- Bien sûr que oui ! S'époumone James. Non mais tu t'imagines m'embrasser ?
- Chut ! Ricane Alec, un quatrième année. Tu vas lui mettre des idées dans la tête !

Les Gryffondor éclatent d'un grand rire sonore. James donne une bourrade sur l'épaule de Sirius.

- T'entends ça, Pads ?
- Ouais, marmonne Sirius.

James fait mine de lui donner un baiser sous les exclamations encore plus hilares.

- Beuurk ! Rit Peter, pris dans le jeu.

Remus observe en silence, impassible, et Sirius essaie de déceler en lui quelconque émotion. Du dégoût ou de l'indifférence ? Il aperçoit Marlène, dans un coin de la pièce, aussi inconfortable que lui. Elle rit parfois, d'une petite voix fausse et cassée. Elle ronge ses ongles.

- Sérieux, ça devrait pas exister, dit Polly d'un ton acerbe.
- Ils ont le droit de vivre, riposte Lily dans un haussement d'épaules.
- Pas devant nos yeux, putain, ça dégoûte.

Le débat se lance, plutôt houleux, Lily est seule contre tous. Sirius n'ose pas intervenir. Et s'ils se doutaient de quelque chose ? Marlène a atteint la peau maintenant, et ses doigts en sont rouge sang. Remus mordille sa lèvre inférieure, il semble un peu troublé lui aussi, pourtant il ne dit rien.

- Bah vas-y, Evans ! S'emporte Betty. Embrasse toutes les filles de la tour, on dira rien !
- Il ne s'agit pas de ça !
- J'ai plus qu'à sortir avec le calamar géant, se moque Alec, accompagné de quelques rires.

Lily secoue la tête et se lève. Sirius aimerait la remercier d'avoir mené un discours auquel il peut à peine penser sans en avoir la nausée. Marlène s'élance à sa suite, les poings serrés.

- C'était courageux, Lil', murmure-t-elle alors que les deux grimpent les escaliers du dortoir.
- On ne devrait pas avoir ce genre de discussions.

Les conversations reprennent. On ne parle plus de Mark et des lubies de Lily. Mais les paroles sont toujours là, quelque part dans les esprits. Ce n'étaient que des mots pour certains, c'est un cauchemar pour d'autres.