La bouche de Mr Derack articulait des syllabes silencieuses, des mots que mes oreilles pensives n'entendaient pas.
Tout autour, les élèves fixaient le professeur de sciences politiques et sociales avec lassitude. Seuls quelques uns trouvaient encore la force de remonter leurs épaisses montures de lunettes sur leur nez, de poursuivre la douce mélodie du stylo sur le papier ou des touches d'ordinateur frappées en rythme.
Je redressai le menton sous les paroles lasses du professeur. Il semblait abattu, croulant sous un poid invisible qui courbait ses épaules.
-Et pourtant, si l'on en croit l'article 23, ligne sept, indiquée sur le texte de loi de Paris...
Je posai mon stylo et m'installai confortablement sur mon siège. Les notes m'étaient inutiles. Tout ce que Mr Derack récitait était déjà inscrit sur ma feuille. Seulement, il se donnait la peine de répéter pour les retardataires.
Je réprimai un baillement : à vrai dire, l'ennui me gagnait peu à peu. Je pris quelques secondes à me décider : puis, frustrée, finis par pousser mes affaires au fond du sac, que j'envoyai ensuite sur mon épaule.
Je me levai sans bruit, dévalai les marches et pris les portes battantes sans un regard en arrière. Nul besoin d'interrompre Derack en plein discour sur la loi d'innoncence quatre-vingt-seize.
Le contraste des bruits me fit l'effet d'un marteau au creux de la tempe : le brouhaha incessant du hall d'entrée vint bourdonner à mes oreilles, m'arrachant une grimace.
Je lâchai un soupire et me stoppai le temps de soutirer de mon sac mon casque. Lui me protégerait des violents échos de la grande salle.
Je repris mon chemin plus sereinement, le nez penché sur mon téléphone. Mon pouce glissa vers la droite, plusieurs fois d'affilée, avant de s'arrêter, satisfait. Les notes s'élancèrent au creux de mes oreilles et rythmèrent mon pas, qui s'accorda à la mélodie, tels de silencieux tembours.
Le grand hall se dégagea, et la lumière déposa sur les quelques mètres qui précédaient la sortie d'un agréable dôme chaleureux. Les gigantesques portes à la peinture usée étaient déjà écartées, et l'élégante arche me céda le passage sans rechigner. Les yeux levés vers les détails de la moulure rouillée, un sourire s'étira sur mes lèvres : l'entrée de l'université me fascinerait toujours, tant qu'aux détails de son architecture qu'à la richesse qu'elle renfermait.
Il en allait de même pour tant de choses sur terre. Mon sourire s'évapora aussitôt à cette pensée : pourquoi les gens ne voyaient-ils que l'apparence extérieure d'une personne ? N'avais-je donc pas un cœur, un esprit et une once d'empathie, tout comme eux ? Ou bien mon être se résumait-il donc à un simple prénom dit porteur de malédiction ?
Je levai les yeux au ciel : le sujet parvenait toujours à se frayer un passage jusqu'a mes pensées. Je secouai la tête et les chassai vivement : les ressasser n'arrangerait rien à ma situation.
Les rayons du soleil vinrent frapper les dalles de la place du Phanthéon et m'auveuglèrent un instant. Les yeux plissés, je vis alors quelques groupes populaires de la fac jacasser sur les bancs.
Je me renfrognai : voilà qui ne présageait rien de bon pour ces débuts de vacances. Je pressai le pas et retirai mon casque ; s'ils devaient venir m'aborder, valait mieux qu'ils me trouvent prête à leur rétorquer convenablement d'aller se faire voir.
En effet, mes prédictions se révélèrent justes : à mon passage près d'eux, ils relevèrent le menton et étirèrent sur leurs lèvres un sourire méprisant.
Ils bondirent sur leurs pieds sans même me laisser le temps de les esquiver. Et en une fraction de seconde, ils m'encadraient déjà.
L'un d'entre eux se détâcha, et mon sang se glaça à sa vue : Jasper Marcs, un gosse de riches noyé dans son égo à peine né.
Il passa sa langue sur ses dents parfaites et s'arrêta, ne laissant que quelques centimètres nous séparer. Hors de question de le laisser me faire reculer. Bien que je connaisse parfaitement le sort qui m'attendait, je m'y refusai.-Alors, démone, susurra-t-il, et son haleine de dentifrice à la menthe envahit mes narines. On ne peut plus se passer de moi ?
Je relevai les yeux vers Jasper, sous les rires moqueur de ses acolytes. Qu'ils rient, si ça leur faisait plaisir.
-Tu sais ce que j'attends de toi, murmura-t-il en se penchant sur mon oreille.
Il cala sa main sur mes reins, et je n'en fis rien. Son autre main m'attrapa l'arrière du crâne et me tira par les cheveux vers l'arrière : je réprimai un cri de douleur, une grimace au visage.
Le reste de sa bande pouffa devant ma mine. Je devais réagir. Je ne pouvais le laisser me tripoter comme chaque fois.
Prise d'un élan de colère et de courage soudain, je laissai mes mains descendre le long de son torse. Il serra ma fesse au creux de sa paume mais au même instant, j'attrapai son entre-jambe et fis le tour de poignet le plus violent que je pus.
Il lâcha tout et gémis de douleur. Il tomba à genoux au sol et je profitai de cet instant pour faire volte-face.
Je l'avais mis à terre ! J'avais réussi ! Je m'étais défendue, avec force et détermination !
La fierté me fit lever le menton et me dépêchai de quitter le cercle qui se pressait vers le chef. Je fis quelques pas avant de me stopper soudainement.
J'écarquillai les yeux : une intense douleur à la poitrine me prit, et mes pieds se dérobèrent sous mon poid. La tête me tournait. Le monde chavira, les sons vrillèrent a mes oreilles et la douleur, telle un feu de souffrance, se propagea dans mes veines.
Le noir brouilla ma vue, et je tombai à genoux, les poumons comprimés de douleur. Mais que m'arrivait-il ?!
Mes pensées se turent, et bientôt je fus incapable de réfléchir. Incapable de produire le moindre son, d'hurler de cette lente agonie.
Alors qu'un gouffre obscur m'aspirait, je perdis définitivement connaissance.
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A la Mort, à la Vie
FantasyMorticia, une adolescente qui étudie le droit à Paris, est la jeune femme qui fait la risée de son milieu. Méprisée et harcelée par tous pour la seule cause du nom qu'elle porte, la jeune étudiante porte sur elle le lourd fardeau de la mort prématur...