Chapitre 1

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Morticia Light était un nom qui sonnait faux, comme maudit d'être même simplement donné à un pauvre nourisson sans défense.

Quel drôle de jeu pour des parents que de donner à leur fille la chance inouïe d'avoir une oxymore comme nom. Sauf si les tuteurs en question étaient décédés à peine une semaine après la naissance de leur Morticia adorée. Voilà qu'à l'hôpital ils craignaient de s'occuper de cette petite, de voir s'abattre sur eux aussi la malédiction qu'elle semblait porter.

Ainsi l'orphelinat s'en chargea jusqu'à mes dix-huit ans, où je fus traitée comme il se devait dans un établissement tel que le leur. Peu d'amour, une nourriture infecte et une école sévère. Cependant, malgré mon nom qui faisait tâche à la vue des autres, le sourire tout comme l'optimisme ne me quitta jamais.

Peut-être était-ce du dénit, de l'aveuglement face à toutes ces moqueries et rejets sociaux. Or, il me plût de croire que quelque part dans ce monde une chaise vide attendait ma venue. Que parmi ces milliards d'humains j'avais ma place.

C'est ainsi que débuta ma véritable vie. Un appartement de fortune sous les toits de Paris, un enchaînement de cours fastidieux dans une prestigieuse faculté de Droit au Panthéon.

Si mon niveau était au plus bas sur le sujet de sociablitié et d'intéraction avec autrui, mes résultats n'en disaient pas la même chose. J'étais, sans vanité, une excellente élève, tout aussi assidue qu'ouverte d'esprit, déterminée et ambitieuse. Tout ce dont un professeur pouvait rêver chez une élève.

Ma vie se rythmait ainsi, de cours, de sorties en solitaire au cinéma ou bien au parc. Mes vacances approchaient, et il me semblait bien être la seule à rechigner à leur arrivée. Je n'avais, à l'inverse des autres étudiants, aucun ami avec qui le temps aurait pu paraître moins long.

Seulement voilà, je ne pouvais être constamment assise à l'amphithéâtre à suivre des cours, ne serait-ce que pour ma propre santé mentale.

Ainsi entamnai-je aujourd'hui le dernier jour de fac avant la pause de l'été.

J'ouvris difficilement les yeux et lâchai un frisson : s'endormir sur l'arrêt de bus n'était pas le meilleur moyen de rattraper mes nuits d'insomnies.

Le wagon du rer c'était fait vide ce matin-là. Peu de voyageurs, seulement des étudiants qui, tout comme moi, devaient subir les habituelles migrations pendulaires à chaque jour de la semaine.

Les pigeons chancelaient face à moi, devant l'air putride dégagé par les voies rapides quelques mètres plus loin.

Un bruit rauque se fit entendre, et mes pieds me relevèrent machinalement : c'était signe que le bus était la. 6 min en avance, soit, mais bien là et vide, qui plus est. Je pris place, privilégiée sur un fauteuil si prisé par les voyageurs.

Paris était une si grande ville, aux pâles couleurs abordées sur les bâtiments aux alentours. Ma vie y était si rythmée et pourtant si peu agitée, tant différente de celle que je menais autrerois que similaire à mes peines à jamais conservées.

Je lachai un soupire exaspéré devant notre inactivité : le bus n'était toujours pas en route. Si nous poursuivions dans cette lancée, j'allais probablement être en retard. Quel ironie, pour ce dernier jour !

Un vieil homme au dos courbé prit place à mes côtés. J'humectai son vieil arôme malorodant en tâchant de ne pas grimacer. Sûrement n'y était-il pour rien.

Je jetai un œil à l'extérieur, regardai les bus tracer leur chemin sur la route. Le chauffeur débarqua alors, une tasse de café à la main, et l'odeur âcre de la boisson envahit le lieu.

Je reconnus quelques de l'université, qu'il m'arrivait de croiser. Je tâchai d'esquiver leur regard méprisant, presque apeuré : nul besoin de me rappeler que j'étais maudite.

À vrai dire, j'aimais prendre le bus. Nous nous élançâmes sur la voie grisonnante, les nids de poules me chatouillèrent l'estomac et le vehicule bondit à chacun des dos d'âne, diverstissant mon esprit morose de la matinée.

Et les arrêts s'enchaînèrent, tout comme les minutes qui tombaient, lentes et silencieuses.

Le vieil homme se leva, et une dame de la cinquantaine le remplaça. Je jetai un bref coup d'oeil dans sa direction, alors qu'elle tapotait sur son écran pour placer des lettres d'un scrabble en ligne, concentrée.

Le bus accelèra ; je songeai, amusée, que sa pause café l'avait probablement mis en retard. Nous accostâmes à l'arrêt qui faisait face au Panthéon, et je sus que mon petit moment de répis était à son terme.

La navette se stoppa et, dans un grand vacarme, ouvrit ses portes. Je descendis sans me presser, guère entousiaste de la journée qui s'annonçait.

Je me stoppai face au bus, contemplant un instant mon reflet sur la vitre délavée. J'étais si laide, et pourtant si belle. Mon visage avait la chance d'être sertis de traits raffinés, d'une bouche délicate. De grands yeux noirs et profonds tronaient au milieu de mon visage fin, surplombant un nez pointu relevé en trompette. On terminait le portrait par de soyeux cheveux noirs corbeau qui me tombaient au milieu du dos, si rares et pourtant porteurs de malheur. M'étais-je rabaissée au point de croire les critiques extérieures ? Je n'en savais rien. Seulement j'étais laide, laide de tristesse, de ces cernes qui pendaient sous mes yeux, de ces joues creusées qui me raccordaient davantage avec la mort. Après tout, n'était-ce donc pas ce que j'étais ?

Morticia.

La petite fille qui avait tué ses parents à peine sortie du berceau.

A la Mort, à la VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant