Erika avait l'impression d'émerger d'un cauchemar. C'était constamment le cas depuis le moment où elle avait rouvert les yeux sur le monde en sentant le poids de son cœur vide en elle.
Elle identifiait sans peine la surface sur laquelle elle était étendue, un matelas en mousse duveteuse récoltée dans les contrées de Sahakalla. Cette dernière donnait au corps l'illusion de s'enfoncer dans un nuage. Une délicate odeur de patchouli, reconnue pour ses propriétés apaisantes, l'enveloppait comme le parfum d'une mère.
Elle n'éprouvait aucun désir de se réveiller. Elle savait ce qui l'attendait : le trou, l'abîme, dès l'instant où elle reviendrait à la conscience. Elle aurait voulu pouvoir elle-même se transformer en nuage et s'étirer dans le ciel... légère... légère... jusqu'à s'effilocher et disparaître.
La vie n'était pas ainsi faite.
Erika prit une grande inspiration et ouvrit les yeux.
Comme elle s'en doutait, elle se trouvait à l'infirmerie. Le plafond en plâtre ivoire s'étalait au-dessus d'elle, et dans sa vaste coupole s'organisaient des rosaces et des festons de fleurs. Tout était calme. Les rideaux blancs qui encadraient son lit étaient tirés, quoi qu'elle n'entendît aucun signe d'un autre malade à part elle. Elle tourna la tête en sentant une chaleur sur un côté de son visage : c'était la lumière du soleil qui entrait par les grandes baies vitrées. Comme c'est étrange, pensa–t–elle en faisant jouer les rayons sur sa main pâle. Un phénomène si naturel que son corps peinait à reconnaître... Elle avait disparu sept ans.
Sa gorge se noua. Elle se sentit gagnée par une atroce solitude.
À travers l'interstice d'un rideau, elle retrouvait des fragments de cette pièce trop surréelle pour s'apparenter à l'architecture humaine. Sur des étagères lobées, semblables à des récifs coraliens, étaient disposés des pierres de guérison et récipients contenant poudres et liquides multicolores. Des instruments, qu'elle avait autrefois jugés bizarres, étaient scellés à l'intérieur d'une bulle de verre. Partout dans cet environnement pittoresque entrait et pleuvait la lumière qui se reflétait sur le marbre rose des colonnes en spirale et sur le bassin à l'eau de lagune.
Cet endroit lui donnait envie de vomir. C'était là qu'on l'avait emmenée quand elle gisait sur les dalles glacées de la Salle du Cristal. Là qu'elle avait regardé autour d'elle, observé les changements dans une hébétude maladive. Là qu'elle avait demandé où était Valkyon et que, le front fuyant, chacun avait esquivé sa question jusqu'à ce que Hua, sainte Hua, prononce : « Il est mort, Eri'. »
Des minutes plus tard, quand le rideau bruissa délicatement, Erika regardait à travers la fenêtre les jardins qui n'avaient jamais été si épanouis.
« Pourquoi, Ewe' ? » prononça–t–elle.
Sa voix rauque lui donnait l'impression d'empoisonner cet endroit.
« Hua a raison, lui fut-il doucement répondu. La vengeance n'est pas la solution à tous les maux. »
Elle ferma les yeux et lutta contre les larmes de rage qui envahissaient ses paupières.
« Regarde-moi, Erika. »
Le temps parut se suspendre quand elle fit volte face. Deux grands yeux clairs et délicats entrèrent dans les siens. Erika avait toujours été impressionnée par Eweleïn. Elle aimait autrefois la comparer à une forêt, en raison de sa voix profonde qui rappelait le frémissement des grands chênes, et de sa peau sans grain, si proche de la couleur du lichen, qui respirait la fraîcheur des jeunes bourgeons. Les reflets mercure qui chatoyaient dans sa longue chevelure rappelaient le cours d'un ruisseau quand le soir s'y reflète la lune. Sept années n'avaient pas suffi à égratigner son charme ; son bonheur, même, n'avait fait que vernir sa beauté.
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Au nom d'un frère [Erika/Lance - Eldarya A New Era]
FanfictionSept ans se sont écoulés depuis que la guerre a été livrée sur la plaine d'Eel. Sept ans depuis le triomphe de la Garde et l'entrée d'Eldarya dans une nouvelle ère. Expulsée du Cristal sans raison apparente, Erika est malade de tristesse. Quant à La...