L'appartement était calme cette nuit-là. L'incandescente pleine lune laissait planer sa lumière à travers les fenêtres du salon. Affalé sur ce canapé de cuir obscur, je profitais de l'ambiance, si particulière, propre aux nuits de samedis soir. Autour de moi se fondaient dans l'ombre les nombreux cartons de déménagement encore fermés. Je les regardais avec lassitude. Ils traînaient là depuis si longtemps. Je laissais reposer ma tête en fermant calmement les yeux, bercé par le chant de notre nouvel aquarium sans poissons. Il fallait que je pense à acheter des poissons.
Je profitais aussi du verre posé sur la table à mon intention. Nous ne buvions pas souvent de vins, seulement pour les grandes occasions. Celui-ci ne brillait pas par son goût. Elle n'était décidément pas douée pour choisir de bons vins. Julia. Ah Julia. À travers la pièce toujours plongée dans les ténèbres, je contemplais cette brune aux yeux émeraude. L'obscurité. Le mystère. Ces mots lui allaient si bien. Je l'avais rencontré par hasard dans les rues froides de ma ville. Elle s'y tenait, immobile, devant la vitrine d'un établissement délaissé, visiblement fermé par faillite. En m'approchant, je fus frappé par sa beauté glaçante. Elle dégageait une aura hypnotisante, m'obligeant à lui parler.
— Il ne viendra pas.
— Qui ?
— Le patron de ce magasin.
Elle sourit, sans rien dire, laissant nos regards se mélanger dans un long silence givré. D'abord nos prénoms échangés, puis quelques rendez-vous amoureux et me voilà deux ans plus tard dans ce nouvel appartement. Appréciant le moment, je réitérais ce vin douloureux. Je devais vraiment penser à acheter de meilleurs crus. Et des poissons, pour l'aquarium. Bon sang.
Sombrant dans un labyrinthe de pensées, le fracas du polystyrène m'arracha soudainement de mes songes. Je relevai la tête, intrigué, et l'observai à nouveau. Assise sur le sol froid, dans la pénombre, Julia fouillait un de nos cartons. Ses gestes étaient frénétiques et désordonnés. Quelque chose n'allait pas. Perturbant le calme environnant, je me levai pour m'approcher d'elle.
— Il se fait tard.
— Non attends, pas maintenant.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je cherche notre photo !
Notre photo. Elle immortalisait un moment important pour nous deux. Durant l'un de nos rendez-vous, nous avions décidé de manger dans ce nouveau restaurant de notre ville. Les établissements n'ouvraient pas souvent dans notre petite cité, c'était une occasion. L'endroit était finalement assez commun. De petites banquettes bordant les murs, accueillaient les nouveaux clients qui venaient se restaurer au bord des tables rondes. L'éclairage tamisé offrait à l'endroit une ambiance chaude et familiale. Les serveuses, nouvelles également, bafouillaient encore lorsqu'il s'agissait d'annoncer le menu de la semaine, récemment appris par cœur.
Nous mangions tous les deux face-à-face. Julia portait une charmante robe d'été qui épousait délicatement ses jolies formes. J'étais charmé. Passionnée, elle me racontait les aléas de son enfance avec son lot de premiers amours et de nouveaux défis. J'évitais de faire de même, préférant rester secret à ce sujet. Raconter mon passé nécessitait bien trop de temps pour un simple rendez-vous comme celui-ci.
— Et depuis tout le monde m'appelle Jules au lieu de Julia !
— Tu l'avais bien cherché, taper un petit garçon...
— Je me défendais !
Julia se mit à rire en regardant vers le bas, heureuse. J'appréciais le moment. Alors que nous assommions l'assiette de nos derniers coups de fourchette, un homme se présenta à nous, un appareil photo à la main. Dans un costume flambant neuf, il nous regardait en penchant légèrement la tête, attendri.
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Six semaines en Allemagne
General FictionPrenons un adolescent invisible. Celui que l'on met au fond de la classe, le laissant s'effacer dans le décor, dans une totale indifférence. Le genre de personne que l'on a mit dans une case depuis longtemps et qui - aux yeux de tous - n'en sortira...