Le schéma

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20h30. Les élèves se levèrent tous en même temps. J'observai chacun mettre leur veste à toute vitesse et se ruer vers les couloirs, avant de s'évaporer par la sortie de l'établissement. Résonnants sur les trottoirs de notre petite cité, les cliquetis de la pluie les attendaient ensuite là. Emboité dans la foule, je me laissai voguer vers un des bus nocturnes. Une fois installés, nous avions pour habitude d'être trop fatigués pour nous parler. Ainsi, nous nous contentions d'observer les rues qui défilaient, à travers les vitres du véhicule.

Après avoir hésité plus fois, ses portes automatiques se décidèrent à m'expulser, à la lumière d'un lampadaire. Quelques mètres plus tard, ma clé s'égarait dans une serrure et m'autorisait à m'aventurer dans cet appartement. J'y retrouvais l'aquarium sans poissons, le canapé de cuir et... Le silence. Julia, elle, n'était plus là.

En cause, nos récentes disputes. Son absence savait encore résonner contre les murs, les meubles, et ses bouteilles de vin totalement vides.

— Je... Je n'en peux plus Florian.

— Oh arrête un peu, comme si tu avais grand-chose à supporter !

— Pardon !!?

— Tous les matins, je me lève à 6h00 pour aller travailler, et je rentre bien trop tard pour avoir besoin de ça !

— Quoi "ça" !? MOI, tu veux dire !!?

Il y a encore quelques mois, nous possédions le même emploi du temps. Réglés comme une horloge, nous avions appris à vivre dans une certaine routine. Nous rentrions à la même heure. Nous avions les mêmes activités. Les vacances, les week-ends, les repas en famille, tout était planifié des semaines à l'avance. Il ne restait alors qu'à gravir les échelons dans nos entreprises respectives, faire des enfants, vieillir, et mourir.

Un paradis millimétré, que j'avais mis en péril ; focalisé désormais sur ces études chronophages. Nos accrochages débutèrent ici, et ne s'étaient jamais arrangés. Au contraire, certains mots, trop violents, avaient engendré l'érosion de notre relation.

Alors un jour, elle s'en alla. « Pour réfléchir », disait-elle. Mais les semaines s'enchaînant, ponctués, de temps à autre, par ses messages hésitants, me firent comprendre qu'elle ne reviendrait peut-être pas.

M'invitant dans la chambre à coucher, je laissai mon sac s'effondrer sur le sol. Ce dernier m'observa faire de même sur le lit. Exténué par ces séries de journées interminables, je fermai les yeux, puis m'endormis...

Samedi matin. Je me préparais à sortir. J'avais rendez-vous dans un bar, non loin de l'appartement. Là-bas, m'attendait Ludivine. Une amie. Enfin, une connaissance plutôt. Nous nous étions rencontrés par l'intermédiaire de Julia, il y a quatre ans. En me découvrant, elle avait prétendu m'avoir déjà croisé quelque part. Cela m'avait agacé : ici, tout le monde finissait par se connaître un jour ou l'autre.

Ludivine était le genre de fille qui savait tout, ou du moins, qui prétendait tout savoir. Un OVNI dans notre petite cité. Elle se permettait de faire la leçon auprès de ceux qui supportaient de l'écouter : choix adéquat du régime alimentaire, du bon candidat à une élection, causes bénévoles et autres valeurs sociétales.

Ces derniers temps, elle s'inquiétait de voir Julia si triste. Elle m'avait alors contacté quelques semaines plus tôt. Malgré la maladresse de sa démarche, j'avais accepté de venir à ce rendez-vous.

Arrivé sur les lieux, je m'assis à la table, en face d'elle. Nous commandions tous les deux un café. Ludivine avait choisi de garder son bonnet vert kaki à l'intérieur. Ce dernier, ne laissait dépasser que quelques-unes de ses bouclettes brunâtres. Au-dessous de son visage bronzé artificiellement, elle arborait un collier, où s'accrochaient de petits cubes blancs. Mon regard se perdait quelques secondes sur son pull très large, qui découvrait une épaule plus que l'autre. Le silence s'installant, elle décida de prendre la parole.

Six semaines en AllemagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant