Le nouveau

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On frappait à la porte. Fort. Mes yeux fatigués pointaient vers le réveil. 5h41. Bordel, je ne m'étais jamais réveillé si tôt. J'ordonnai à mon corps tout entier de se relever, malgré les plaintes du lit grinçant. Cette première nuit avait été horrible. Je n'avais pas réussi à fermer l'œil et pour cause, aujourd'hui, rien ne pouvait se passer correctement. Les élèves se jugeront. Les clans seront déjà formés. Tous parleront un allemand parfait. Un enfer identique à celui de ma ville, dans une autre langue, simplement.

La porte, insatisfaite de mon silence, se mit à grogner plus fort.

— Oui ! Heu je veux dire... « Ja » !

Friedrich, encore lui évidemment, déversait son allemand du matin, forcément incompréhensible. Ce dont j'étais sûr, c'était son refus que je reste endormi. Alors, comme un zombie, je titubais, traversant ma petite chambre, le long couloir et enfin, la salle de bains. Mes habits s'échouèrent presque d'eux-mêmes sur le sol, me laissant libre de m'étaler sur l'un des murs de la douche. L'eau serpenta ensuite sur mon visage, avant de chuter dans le ravin d'une canalisation bruyante.

Je coupai le flux de l'eau d'une main, et agrippai une serviette de l'autre. Me tenant maintenant face au miroir, mais incapable de m'observer. Sans lunettes, le décor se révélait indicible. Il était difficile d'être sujet à une myopie si forte. J'avais dû abandonner l'idée de faire du sport, et devais faire attention dans les rues fréquentées. Ces verres, si épais, étaient dangereux et chers à fois. Le plus dérangeant, était lorsque j'arrivais enfin à les oublier : une opportunité offerte, pour quiconque voulant cracher ses métaphores cruelles. Venir un jour à l'école sans elles, était considéré comme une tentative d'évasion de la cour. Celle, des « perdus ». Un crime monstrueux, dans notre charmante communauté.

Lorsque ma mère m'annonça ce départ forcé, je m'étais alors autorisé l'impossible : prendre des lentilles de contact. Celles que j'étais sensé mettre depuis des années. Un « perdu » qui change d'apparence, ça ne s'était jamais vu. Mais, tout cela n'était plus d'actualité. Rappelle-toi Florian, personne ne t'avait contacté. Personne n'avait cherché à te sauver. Tu étais ici, seul.

Je saisis l'une d'elles et l'apposa sur mon œil droit. Immédiatement, une douleur vive amocha mon globe oculaire. J'avais oublié l'agressivité de cette matière, propre aux lentilles rigides. La deuxième fut tout aussi douloureuse. Mes paupières, fermées, se figèrent pendant de longues secondes. Il fallait que je m'adapte, malgré la douleur. J'ouvris donc les yeux, observant les objets en face de moi. Une brosse à dents. Un sèche-cheveux. Le robinet. Je les voyais si bien. Je relevai la tête vers le miroir et me découvris alors. Le teint toujours pâle, les cheveux toujours longs, les yeux... Bleus. Étrangement, mon visage semblait différent. « Non, c'est ridicule », murmurai-je...

La porte rugit. Encore. Foutu Friedrich.

Alors, dans la précipitation, je m'habillai et pris mes affaires, oubliant par la même occasion ce que je venais de faire. Quelques secondes cependant : mes yeux avaient du mal à s'adapter et clignaient trois fois plus que la normale, mais je compris très vite, au vu de notre hâte, que nous n'allions pas retourner dans l'appartement.

Il s'était donné une mission. La même pour chaque hôte qu'il recevait dans sa demeure : l'accompagnement de l'étudiant, du village, jusqu'à l'école. C'était ainsi que je pus mesurer la gravité de la situation. Se lever si tôt ne suffisait pas. Non. Il fallait prendre un bus, d'abord. Le bus du matin. Non, pardon. Le SEUL bus du matin. À ne surtout pas rater donc. Puis, s'arrêter au septième arrêt, nous amenant dans un village inconnu, mais avec une station de train. Et, de sa plateforme, rentrer dans un des wagons, pour se diriger enfin vers la ville principale de la région.

Six semaines en AllemagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant