Il faut de tout pour faire un m...

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Les portes automatiques du bus s'ouvraient, accompagnées de leur bruit métallique de routine. En montant, je traversais son unique couloir, essayant de trouver de quoi tenir debout dans la jungle humaine. Les usagers s'encombraient dans ces véhicules surpeuplés tous les matins. Comme à chaque fois, je me perdais dans un flot de questions ; pourquoi les cours commençaient si tôt ? De qui venaient ces odeurs de sueur ? N'avait-il pas de douches chez lui !? Ces questions me tourmentaient tellement, que je n'anticipai pas la suite des évènements. Éjecté de mes plaintes intérieures, je sentis mon corps s'aplatir violemment contre la vitre du bus, sous une pluie de rires satisfaits.

Dans la douleur, je finis par chuter sur le sol. Afin de reconnaître mes agresseurs, je tournais légèrement la tête ; « Oh non ! Pas encore eux... », Chuchotais-je discrètement. Ils étaient là chaque matin, noyés dans des pantalons bien trop larges, des pulls sales, des casquettes de travers et le crâne rasé. Leurs portables crachaient de la musique agressive dont l'éventail de mots s'étendaient de « pute » à « nique ce pays ». Toujours en bande, ils se tenaient au milieu du bus, prêts à agir sur n'importe qui. Il y avait deux méthodes pour qu'ils vous laissent tranquille : subir ou rejoindre leur clan. Personnellement, je n'étais pas fan des casquettes. Je ne voulais pas me raser la tête et je n'étais pas assez amoureux de mon pays pour vouloir le « niquer ».

Je ne savais pas si ma ville était particulière pour ça, mais ici, le statut se corrélait avec vos habits. Vous étiez ce que vous portiez. Les jeunes qui voulaient coucher avec leur pays, par exemple, étaient les chiens de garde de l'école. C'était eux qui imposaient leurs lois. Il ne fallait pas les regarder dans les yeux, au risque de se voir lancer un terrible « Qu'est-c'qu'tu regardes bouffons !!? » à la figure. Dans l'optique d'éviter de me retrouver écrasé sur une autre vitre, je préférais me relever et avancer vers l'avant du véhicule.

— Hey Florian ! Par ici !

— Ils t'ont fait mal !?

— Sûrement !

Ils étaient là, tous les trois, à me regarder bêtement. « Ma bande ». Des amis d'enfance avec qui j'avais fait les quatre-cents coups. Certains d'entre eux, avaient réussi à résister à cette vague de style qui s'était propagée sur notre école. Admirable. Surtout ici. Je m'assis, silencieux, sur un des sièges libres. Devant mon mutisme, l'un d'eux s'écria :

— Tu devrais devenir « Skater » ! Les « Skaters » te protégeraient.

— Tu parles ! Florian ne sait pas faire de « Ollie », ce qui est la baaaase pour être dans leur groupe.

— Les gothiques alors ? Ils font peur, EUX !

— Ah bah oui ! Suffit de s'habiller en noir et de croire en Satan. Flo ? Bonne idée ?

Et encore ce débat. Nous habitions dans une petite ville conservatrice, entourée aussi de villages ruraux, où il ne s'y passait pas grand-chose. Un endroit bien trop calme, qui me faisait demander, parfois, si les bruits de nos pas ne dérangeaient pas le repos des morts. Le passe-temps d'un adolescent local était de boire de l'alcool mélangé à du jus d'orange, jouer les caïds de notre petite cité ou même se sentir incompris dans un monde sans Satan. Ceux-ci me donnaient l'impression d'avoir un besoin insatiable pour les projecteurs. La gloire. La réputation. Et nous dans tout ça ? Nous ne participions pas à toute cette hystérie, ce qui posait un grave problème à cette communauté. Donc, puisqu'il fallait absolument être catégorisé, ils avaient fini par nous surnommer... « Les perdus ».

C'était pour cela que les débats d'adhésion à un clan étaient fréquents. Ce surnom faisait pression. Il fallait toujours convaincre ces derniers que nous n'en n'avions pas besoin. Une routine fatigante. Eux aussi, semblaient peu à peu perdre pied. Je fermais les yeux, car c'était de bons amis. Je m'en étais persuadé. C'est parce qu'ils m'entouraient d'ailleurs, que j'arrivais encore à me lever le matin, malgré cette sensation de malaise qui m'habitait ces derniers temps. Mes amis me fixaient tous, attendant une réaction de ma part. Face à leurs remarques, je souris, en rétorquant :

Six semaines en AllemagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant