Les cris du réveil retentirent. Dans la douleur, je cognai de toutes mes forces l'insupportable appareil, avant de me rendormir aussitôt. Quelques minutes plus tard, c'était au tour de mon père d'accueil de s'alarmer. "Retard ! Retard !" Scandait-il en allemand. Je sautai du lit et me préparai en à peine dix minutes. Dévalant les couloirs à toute allure et claquant la porte, mes efforts ne suffirent pas. Devant moi, l'arrière du bus disparaissait peu à peu dans la brume matinale. Mais pourquoi donc ma mère avait choisi cet endroit, bon sang. Je rentrai vers la maison, en murmurant quelques plaintes. Au seuil du bâtiment, je remarquai la fille de Friedrich, amusée de m'avoir vu courir. Elle me proposa de me conduire, en précisant que cela était « exceptionnel ».
Le trajet fut silencieux, faute de se comprendre. À l'avenir, je devais faire en sorte de ne plus rater ce bus, pour éviter de ce genre de malaise. Sa voiture s'arrêta devant le SprachInstitut et j'y sortis le plus vite possible. Je n'étais pas du matin. Vraiment. Je m'en souvenais encore, dans mon ancienne école, lorsque je rasais les murs du hall principal. Il y avait toujours un professeur pour me repérer et m'expliquer à quel point il était gravissime de ne pas respecter l'horaire.
Mais ici, rien de tout ça. L'établissement était vide de tout surveillant. Se pouvait-il que cela ne soit pas si... Grave !? Je frappai trois fois contre la porte, avant de l'ouvrir lentement. J'y découvris notre professeur habituel, à peine surpris, qui donnait son cours sans se laisser interrompre. Au fond de la classe, bien alignés, mes camarades francophones. Nicolas et Seb manigançaient quelque chose sur un téléphone portable, pendant que Gilles se laissait distraire par la fenêtre. Amandine écrivait consciencieusement sur son cahier et Célia, les bras croisés, se contentait de remarquer ma présence. Elle me suivait du regard, jusqu'à ce que je rejoigne ma place. À peine installé, elle me prit à partie instantanément.
— Il parait que t'es rentré dans leur délire hier.
Elle parlait de notre escapade dans le centre commercial. Je me rappelai de sa conversation avec Nicolas, qui se conclut par son départ dans une rage refoulée. Célia était contrariée, je le remarquai.
— J'ai pas vraiment volé...
— Tu devrais pas trainer avec Nicolas, c'est un con.
Nicolas tourna la tête et regarda Célia avec brutalité.
— C'est toi la conne !
Avant qu'elle ne puisse répondre, le professeur coupa leur début de dispute, en annonçant qu'il était l'heure de se mettre par groupe.
Elle forma elle-même les équipes, pour nous contraindre à ne parler que l'allemand. Au programme : raconter notre week-end. Sous l'impulsion de l'instituteur, un des Américains se présenta à moi. Je distinguai ses cheveux blonds se battre le long de ses joues. Son visage, un peu bouffi, s'étirait grâce au grand sourire qu'il m'adressait. Il portait un jean rouge et un t-shirt multicolore qui trahissait une personnalité atypique. Après m'avoir serré la main, il s'assit et débuta l'exercice, en me posant des questions. Étrangement, je commençais à mieux saisir la langue. Une fois traduite, la conversation donnait quelque chose comme cela :
— Qu'as-tu fait le week-end passé ?
— Je suis arrivé en Allemagne. Et... Voilà...
— Tu es censé parler plus !!
— Mon allemand n'est pas assez bon, désolé. In english, maybe ?Il se retourna, pour s'assurer que le professeur ne l'écoutait pas, et se mit à parler en anglais.
— Moi aussi, avant, je détestais ce genre de truc.
— Ah oui ?
— On s'y fait.
— Mhh.Le professeur s'approcha de nous. L'Américain prétendit alors qu'il répondait à l'une de mes questions.
— Le week-end passé, je suis allé au centre-ville, c'était très intéressant. J'ai beaucoup aimé. Le week-end passé, je suis allé au musée. C'était très intéressant. J'ai beaucoup aimé.
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Six semaines en Allemagne
General FictionPrenons un adolescent invisible. Celui que l'on met au fond de la classe, le laissant s'effacer dans le décor, dans une totale indifférence. Le genre de personne que l'on a mit dans une case depuis longtemps et qui - aux yeux de tous - n'en sortira...