Hérésie

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Ils s'étaient habitués à ce sentiment de solitude, si singulier, qui planait au fond de leur gouffre. L'un comme l'autre, se toléraient, en regardant attentivement les scènes du vrai monde sur l'écran de télévision. Celui qui était apparu ici en dernier, avait une fascination certaine par tout ce qui étaient en train d'arriver, au point même, d'adresser la parole à son camarade.

— Intéressant, n'est-ce pas « Florian-1 » ?

Contre le mur, comme à son habitude, son interlocuteur fronça les sourcils. Il avait appris à reconnaître ce ton provocateur, mais ne comprenait pas où il voulait en venir.

— Comment m'as-tu appelé ?

— Et bien, Florian-1 ! Tu es le premier qui est tombé ici.

— Donc, toi tu serais... « Florian-2 » ?

Sans répondre, il fit quelques pas vers lui. Puis, posa un genou à terre pour se mettre à sa hauteur. Il était déroutant, pour Florian-1, de remarquer à quel point il ressemblait à son homologue du vrai monde. Depuis que ce dernier avait décidé de porter des lentilles, ils étaient devenus presque identiques, du moins physiquement. Les hésitations intérieures du Florian réel allaient encore dans son sens, ce qui le rassurait.

Cependant, il ne pouvait masquer sa méfiance, palpable dans son regard, même à travers ses grosses lunettes. Pourquoi n'était-il pas seul ici ? Quel était le but de ce jumeau arrogant ? Il avait du mal à concevoir l'idée même de son apparition, si soudaine. C'était pour cela, selon lui, qu'il fallait limiter toute interaction.

— Récemment, je me suis rendu compte que j'avais accès à la totalité de tes souvenirs. Mieux que ça, en fait...

Mais voilà, l'autre ne l'entendait pas de cette oreille. Il se releva et s'avança vers l'un des murs latéraux. Pour lui, le mutisme de Florian-1 n'était pas un problème. Seul l'écran de télévision comptait. Pourtant, aujourd'hui, il tenait à lui montrer quelque chose.

— Cet endroit, aussi sombre soit-il, réverbère les fantômes du passé.

Lentement, il déposa ses doigts sur la paroi.

— Regarde !

Leur entourage prit soudain une teinte blanche, immaculée. On ne distinguait plus le sol des murs. Florian-1 observait son jumeau peindre un monde nouveau, sous sa simple volonté.

— Où sommes-nous !?

— A la même place. Ce que tu vois est trompeur...

Une route apparue sous leurs pieds. Autour d'elle, des bâtiments résidentiels s'élevaient, accompagnés d'arbres, de buissons et de grands lampadaires. Au plafond, se dessinait un ciel bleu, dénué de nuages. Et un soleil, resplendissant, s'attelait à éclairer les environs.

— Tu reconnais ?

— C'...C'est... Mon quartier...

D'une cour, à côté d'eux, jaillirent deux petits garçons. Ils couraient à toute vitesse, en traversant même Florian-1. Ils se cachèrent ensuite derrière un buisson. Quelques secondes plus tard, un troisième enfant s'avança, avec une expression agressive qui les terrorisait.

— Je m'en souviens. On se cachait, avec un ami, parce que lui voulait nous frapper.

Florian-1 pointait du doigt le troisième enfant, qui semblait décidé à les retrouver. Les chuchotements des deux autres retentirent à proximité. Florian, enfant, fixait son assaillant à travers le feuillage du buisson.

— Si on fonce sur lui, et qu'on le fait tomber, on aura le temps de s'enfuir ailleurs !

Il se dégagea légèrement du buisson, mais son acolyte le retenu par le bras, apeuré. Sur son visage, se dessinait la frustration de devoir se cacher. Mais sans l'appui de son ami, il se résolut à rester là. Le ciel s'obscurcit alors. Le quartier s'estompa. La pénombre reprit sa place. Sortis de l'illusion, les deux Florian se retrouvèrent à nouveau au fond de leur gouffre, les poignets enchaînés.

Six semaines en AllemagneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant