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(*Jubako : boîtes à bento carrées qu'on peut superposées et qu'on utilise au nouvel an pour les plats traditionnels osechi.)


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Aujourd'hui c'est le nouvel an. Et contrairement aux années précédentes, je l'ai attendu avec impatience. J'ai hâte de revoir le cuisinier de la dernière fois. Sa présence m'a fait un bien fou le jour de Noël, même s'il ne parle pas beaucoup. C'est la première fois que je sens autant de sincérité chez quelqu'un et ça m'intrigue.

Sans vraiment y réfléchir je prends le chemin des cuisines plutôt que de la salle à manger pour le rejoindre, bien décidé à engager la discussion. Un large sourire s'étire sur mon visage lorsque j'aperçois ses longs cheveux blancs depuis le couloir et je m'apprête à entrer, curieusement secoué d'émotions légères.
Mais subitement je m'arrête. J'ai peur. Les autres et moi, en général, ça ne fonctionne pas. 

Cette pensée suffit à me faire reculer. Je me blottis discrètement derrière l'encadrement de la porte pour l'observer de loin. Je ne sais pas combien de temps je reste là à l'épier comme une jouvencelle en mal d'amour ; sûrement trop longtemps, mais je suis resté sur ma faim à Noël. J'ai envie d'en savoir plus sur lui, seulement je ne sais pas comment l'aborder.

Il y a quelque chose de différent chez cet homme, je l'ai vu dès le premier regard. Un regard froid, méchant et sans artifices. Le même qu'il me lance maintenant.


- Tu vas m'espionner encore longtemps ?


Je sors de ma cachette les yeux rivés au sol, un peu honteux, et le rejoins timidement à côté des fourneaux.


- Pardon... j'avais peur de te déranger.

- Et finalement c'est ce que tu as fait, me reproche-t-il sans quitter sa préparation des yeux. Qu'est-ce que tu veux ?

- Je ne pensais pas que tu reviendrais.

- Je te l'ai dit à Noël, je serais là tous les jours fériés pour préparer les menus de fête.

- Je n'y croyais pas vraiment... d'habitude il n'y a jamais personne. Tu aimes cuisiner ?


Il me jette un regard en biais avant de le ramener sur le plan de travail, là où ses mains sont occupées à émincer le saumon. Il réfléchit un long moment avant de me répondre, le visage inexpressif.


- Hn... Je ne déteste pas, c'est déjà bien.

- Tu t'appelles comment ?

- C'est écrit sur mon tablier.

- Celui que tu ne portes pas ?


Il ne répond pas, visiblement agacé. Je ne dis plus rien et me retourne pour attraper le tablier laissé à l'abandon près des poubelles. Sur le badge accroché au tissu, je lis son prénom.


- Tomura...


Je le chuchote en caressant le badge du pouce avant de relever la tête. 


- Pourquoi mon père t'a embauché ici ? 


Mais le repas est prêt et il n'aime pas qu'on gâche la nourriture. Il glisse jusqu'à moi la grande boîte jubako* avec une coupe de champagne et me toise, impassible, à l'aide de ses deux iris couleur hémoglobine. Je frissonne malgré moi.


- Mange.

- Je n'ai pas faim.

- C'est pas mon problème. Mange.

- Si je mange tu répondras à mes questions ? 

- Pourquoi t'insistes ?

- C'est la fête de l'oubli, non ? Moi aussi je veux laisser mes problèmes derrière moi et prendre un nouveau départ. Cette année je voudrais être capable de me faire au moins un ami.


Il soupire et se laisse tomber sur une chaise à côté de moi. Je lui offre un grand sourire satisfait parce que je sais que j'ai gagné. 

A côté des autres, nous - OS découpéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant