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(*engawa : élément architectural des maisons japonaises, bande de sol qui créer un entre-deux où semblent se juxtaposer de façon ambiguë le dedans et le dehors.)


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Aujourd'hui c'est le sixième jour de la Golden Week, Midori no hi. C'est le jour vert, la célébration de la nature. Mais il est encore trop tôt pour célébrer, il est à peine minuit passé.


- Tu ne rentres pas chez toi ?, je lui demande, priant de recevoir une réponse négative.

- T'essaies de me foutre dehors ? 

- Non, pas du tout. Ca me fait plaisir que tu restes avec moi.

- Alors je reste.


Allongés l'un à côté de l'autre sur l'engawa* de la maison, les visages tournés vers le ciel, nous laissons aux milliers d'étoiles qui surplombent nos têtes le plaisir d'illuminer nos pupilles tandis que nos lèvres s'échangent entre elles toujours plus de mots. La discussion entre lui et moi est inépuisable depuis la veille et s'approprie tous les sujets du monde.

Il se tourne face à moi et je sens son regard aiguisé tenter de me mettre à nu.


- Pourquoi t'es pas en colère ?, me demande-t-il soudain.

- Pourquoi tu l'es ?

- Parce que tout est pourri, répond-il en haussant les épaules. Les gens sont mauvais, la société n'avance pas. L'humanité régresse et fout en l'air tout ce qu'elle touche... Et je...


Il semble hésitant alors je me tourne à mon tour et lui sourit pour l'inciter à continuer. Nos regards se croisent, se mélangent et ne se lâchent plus. Mon sourire s'étire encore un peu. La faible lueur que nous offre la nuit éclaire à peine le rouge saisissant de ses yeux mais c'est plus que suffisant pour me faire oublier tout le reste.


- Je nous déteste tous, reprend-il sur un ton plus résolu que je lui reconnais mieux. On ne pense plus que par profit, obsédés par ce qu'on peut gagner au détriment de chacun. On exploite les uns pour enrichir les autres et on oublie ceux qui meurent. On ne regarde plus personne et en même temps on pointe tout le monde du doigt. Tout le système est bancal, mais on préfère se vautrer dans le confort en pensant que tout nous est dû, oubliant jusqu'à la chance d'avoir un vêtement sur le dos, plutôt que de trouver le courage de repenser les choses. Tu crois pas que c'est pas comme ça que ça devrait être ? Que le progrès nous facilite tellement la vie qu'on s'endort, trop fainéants pour réagir devant l'horreur qu'on répand partout ? Et on continue de se croire au-dessus des animaux ? La vérité c'est que l'Homme n'évolue que pour s'octroyer le choix de rester con. C'est répugnant. J'aimerais qu'on meure, qu'on s'éteigne. Tous.


Sa haine est immense. J'aimerais l'en soulager, ne serait-ce qu'un peu.
Ma main vient se poser sur sa joue pour lui transmettre mon soutien avant de lui demander tristement :


- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait à toi ?

- Ils m'ont laissé mourir à côté des cadavres puants de mes parents et de ma sœur, m'avoue-t-il d'une voix au fond de laquelle tremble sa rage. Plus tard ils m'ont enfermé pour les avoir tués. Mais on crevait tous de faim, je n'ai fait qu'abréger leurs souffrances. 


Sa confidence me frappe. D'autant plus que son regard n'a pas faiblit une seule seconde, ne laissant aucun doute sur la force qu'il a été contraint d'acquérir afin de porter ce fardeau tout seul. Personne n'a jamais souffert ni pleurer pour lui. Je serais le premier, au risque de passer pour un faible.

Je fonds en larmes... et puis je sens son corps se rapprocher du mien pour me serrer doucement contre lui.

A côté des autres, nous - OS découpéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant