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(*Sozu : petite fontaine en bambou.)

(*Jeu de go : jeu de société qui se joue avec des pierres blanches et noires.)


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Aujourd'hui c'est la fête du travail. Nous sommes en plein milieu du jardin et le temps est gris, mais j'ai insisté pour faire un jeu de go à l'extérieur. C'est la première fois que je joue avec quelqu'un qui n'est ni un mon père ni un domestique.


- Reste avec moi ce soir, je supplie à Tomura pour la dixième fois de la journée.

- Je peux pas, soupire-t-il. De toute façon tu vas me harceler de messages dès que je serais rentré et on va encore passer la nuit au téléphone.

- Je préfère t'avoir en face de moi.

- Tu es bien le seul.


Son ton est neutre, comme s'il se contentait d'exposer un fait. Il veut me faire croire qu'il ne ressent rien mais je sais à quel point la solitude est lourde à porter.
Je consens à me taire quelques instants pour me concentrer sur le déplacement de ma pierre, puis je relève les yeux à la recherche des siens. 


- Et c'est mal de ne pas faire comme tout le monde ?

- Je n'ai pas dit ça, grogne-t-il en accrochant enfin mon regard.

- Je sais, tu penses juste que je suis fou à lier. Tu n'es pas difficile à déchiffrer, Tomura, seulement à approcher. Mais c'est douloureux de toujours être invisible à côté des autres et de ne jamais rien partager avec personne... Ta présence me fait un bien fou et je me sens plus heureux quand tu es là, pourquoi tu ne veux pas accepter ça ? Arrête de me fuir.


Je lui souris et il détourne les yeux, visiblement mal à l'aise, contraste saisissant avec la paix qui règne autour de nous. Le vent secoue calmement les feuilles d'érables du jardin et l'eau du sozu* s'écoule avec sérénité, semblable à la plus douce des mélodies. L'herbe est humide sous nos genoux et le ciel s'est assombrit. Mais ce n'est pas désagréable, au contraire.
J'insiste auprès de Tomura en glissant ma main dans la sienne. Je ne veux pas le laisser filer, c'est le premier véritable lien que je créer avec quelqu'un.


- J'ai pas l'habitude qu'on s'intéresse à moi, me lâche-t-il avec difficulté, encore moins de m'intéresser à quelqu'un... Je préfère garder mes distances, c'est plus facile que d'être constamment en colère contre tout le monde parce que personne ne comprend rien à ce que je suis. 

- C'est parce qu'ils ne prennent pas le temps de te regarder.

- Pourtant ils ne se privent jamais de me crier que je suis monstrueux. Et toi ?

- Je ne te trouve pas monstrueux, moi. 


Il relève les yeux. Nos regards se croisent encore et se consument. Ils brûlent d'envie de se mélanger l'un à l'autre. Je me rapproche un peu.

Il pleut.


- Au contraire, je te trouve passionnant... honnête, courageux, sensible, pas très subtil mais vif d'esprit et aussi très...


Je me penche doucement au-dessus du plateau de jeu pour me rapprocher de lui. Mes pupilles ne quittent pas les siennes, captivées par ce qu'elles voient, et ma main se permet sans que je n'y fasse attention de venir se glisser sur sa joue. Lorsqu'elle y trouve sa place et commence à caresser sa peau du bout du pouce, je réduis l'espace qui me sépare encore de lui et ferme les yeux. 


- ...attirant.


Ma voix n'est plus qu'un souffle sur ses lèvres, et soudain l'espace n'existe plus. Le jeu se renverse, les vêtements se froissent et on se trouve, on se découvre, on s'abandonne. Je frissonne, il me réchauffe... on se mélange. Le reste s'efface.

Je sais qu'il pleut... mais l'air est doux et je m'en fous.













A côté des autres, nous - OS découpéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant