Chapitre 1 - De l'orage au brouillard

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Le ciel est plus grisâtre que jamais, le temps est lourd, les orages menacent les rues désertes de mon quartier, mais étrangement cela me réconforte.

Je me tiens sur le rebord de la fenêtre de ma chambre à attendre les flashes puissants reflétés sur mon visage. J'attends la lumière dans les ténèbres qui s'apprête à résonner, alors que je me tiens au même endroit que l'année dernière, la veille de mon dernier jour de cours, à ronger mes ongles. Je songe, dans mon attente, aux bruits des vagues aussi puissantes qu'un éclair, si bruyantes et en même temps si calme. Je nage dans les grandes eaux, ces derniers temps.

L'arrivée de la fin de l'année scolaire m'angoisse plus que jamais. Non pas parce que je vais être loin de ma mère et de tout ce qui se rapproche d'une « famille » mais parce qu'il me faudra tout recommencer depuis le début. Je n'ai pas envie de devoir être une nouvelle personne et tout reprendre à zéro, de m'inventer une nouvelle vie comme mon frère l'avait fait avant moi. Je ne veux pas oublier toutes ces épreuves pour soi-disant avancer.                                          

Si le but de l'université était de faire resurgir mes vieux démons, dix ans après un travail acharné, je préférai autant rester moi-même. Mais le lycée ne nous préparait pas à cela. Comme il ne nous préparait pas à gérer notre merdique environnement familial. Tout ce qui importait les professeurs, c'étaient les résultats. Tout ce qui importait les gens de mon lycée, c'était de ne pas me voir être moi-même.

Alors depuis le départ de mon père, il y a un an, j'ai décidé que je ne serai plus la petite fille modèle dont mes parents avaient tant rêvé. Cette petite fille à qui ils avaient transmis à outrance la pression de la réussite. Je ne comptais pas être parfaite, plus maintenant. Je voulais enfin être moi-même. Si mes parents me voulaient à leur image, ils devaient très certainement redorer la leur.

Les nuages ne brillent pas par leurs présences donc je reste assise là, à attendre le bourdonnement des cieux. Quand j'aperçois le reflet de mon visage entre deux idées claires. Je constate qu'il est gonflé par le manque de sommeil. Je me distingue à peine, mais j'en vois suffisamment. Je regarde l'écran de mon téléphone pour vérifier si j'ai reçu un message. Toujours rien. En revanche, il est déjà dix-neuf heures.

Merde. Merde. Merde. Je me précipite vers la salle de bain pour me préparer entre plusieurs virages pour attraper mes sous-vêtements éparpillés sur la moquette de ma chambre et quelques autres virages simplement parce que je suis en retard. 

J'entends la voix presque inaudible de ma mère qui semble être au téléphone. Et s'il y a bien une chose que j'ai apprise avec le temps, c'est de ne pas lui faire confiance.
Je décide donc de jeter un œil entre les commissures de la porte de sa chambre et je mets à observer ceux à quoi je ne veux pas ressembler. Une femme plutôt fine avec un chemisier simple et une jupe de tailleur bleu marine tirée à quatre épingles. Ses cheveux châtains clairs attachés vers le bas, plus qu'il ne le faut. Une apparence stricte pour une femme avec un lourd passé. Certainement les vestiges de ses années universitaires. Le comble c'est que je n'arrive toujours pas à entendre quoi que ce soit, ni même entendre avec qui elle discute.

Marmonnant à voix haute, ma fausse discrétion finit par me faire défaut. Je me précipite donc derrière la porte de la salle de bain lorsque je vois ma mère raccrocher aussi soudainement que ma maladresse.

 — Mace ! Ouvre la porte.

J'ouvre le robinet de la baignoire pour faire mine d'être sous la douche alors que je me regarde fixement devant le miroir. Je me dévisage espérant ne pas avoir une trop mauvaise mine. Mais avec qui avait-elle pu discuter ? J'avais peur de connaître la réponse. L'eau froide du robinet suffit à décongestionner mon visage, mais pas suffisamment pour refroidir ma curiosité. Il n'était pas question que je gâche encore une fois ma soirée, la tête encore dans le brouillard. J'avais tendance à tomber en « black-out » dès qu'il s'agissait de ma famille. J'aurais préféré réécrire l'histoire, imaginer que tout ceci n'était qu'un rêve, que mon père était parti parce qu'il n'était pas capable de prendre ses responsabilités, que ma mère n'y était pour rien, qu'elle faisait de son mieux. J'aurai vraiment préféré cette version. J'aurai vraiment préféré.

Rebelle malgré elleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant