Chapitre 6 - Sur un pont flottant

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POV Misaki

Sortant de la voiture, claquant violemment la porte au passage, je me mis à courir dans la rue. Les quelques passants sur le trottoir d'en face me regardaient étrangement. J'étais vexé, outré et dégoûté par le comportement d'Usagi. Comment pouvait-il être aussi désinvolte ? C'était grâce à son travail d'écrivain qu'il avait tout ce qu'il avait maintenant... C'était grâce à ça qu'il arrivait à nous faire vivre sans que sa famille ne lui donne quoi que ce soit. Si il arrêtait d'écrire, il aurait toujours de quoi assurer ses arrières mais pour combien de temps ? Et qu'allais-je faire après l'université ? Allais-je toujours vivre à son crochet ? Allait-il pouvoir vivre sans moi ?... Je voulais presque, intérieurement, me rendre indispensable pour lui. Pourtant, au fond, je savais que je ne l'étais pas. Je ne pouvais pas toujours compter sur lui de cette façon...

Je ne veux pas vivre comme un parasite, et je ne veux pas gêner Usagi dans son travail plus longtemps. Partir vivre chez mon frère ne serait pas une mauvaise idée... Je sais qu'il vit déjà avec sa femme et leur enfant mais... C'est envisageable.

J'étais partagé entre deux idées majeures. Devais-je continuer à vivre avec lui en essayant de me faire le plus petit possible et en supportant ma "haine" ? Ou devais-je laisser tomber et donc partir vivre chez mon frère ? J'étais tellement confus. Quel idiot. En attendant, cet imbécile avait causé des problèmes et je me devais d'en régler au moins quelques uns. En particulier, je devais réussir à contacter Aikawa. Je me demandais ce qu'il pouvait bien lui être arrivé pour qu'elle ne me réponde pas... Peut-être avait-elle supprimé mon numéro ? Ne sachant pas où aller pour le moment, je prenais la route de son appartement. Elle m'en avait déjà parlé en cas d'urgence. Pour accéder à sa demeure, je savais que je devais prendre un petit chemin un peu plus écarté, histoire de rejoindre un autre quartier facilement. Sur le chemin, qui était considéré comme un chemin de marche par la plupart des gens, il y avait un pont avec un fleuve qui passait en dessous. Les amoureux venaient généralement passer sur ce pont deux fois. Une fois pour l'admirer à deux et une fois pour sauter dans l'eau, chacun de son côté. Cette réflexion me donna un frisson. Et si Aikawa... Et si Aikawa était sur le pont à ce moment précis ? Et si elle sautait ?... Mes yeux s'écarquillèrent tandis que je me mis à courir rapidement. J'espérais profondément qu'elle ne le ferait pas. Mon sac était ballotté sur mon épaule, rebondissant à chaque foulée de course, me donnant un coup peu agréable. Mais je m'en souciais peu. Mon seul problème sur le moment était Aikawa.

Pitié Aikawa-san... Tout mais pas ça... Tout mais pas ça... Je vous en prie... S'il vous plaît, dites moi que vous êtes rentrée chez vous sans vous arrêter... Dites moi que vous êtes simplement couchée dans votre lit ou sur votre canapé et que vous n'avez pas entendu mon appel parce que vous... dormiez...

Cette nouvelle perspective me rendait tout aussi anxieux, voir encore plus. Et si elle avait ingéré des somnifères ? Et si elle était effectivement chez elle mais qu'au fond, elle n'était plus là ?... Je devais me dépêcher de vérifier le pont, le rivage ainsi que le fleuve sur une petite distance avant de filer chez elle rapidement. Je priais pour qu'il ne soit pas trop tard. J'avais déjà perdu mes deux parents par ma faute alors... Je ne pouvais pas me permettre de perdre Aikawa-san pour une question de timing. Ce n'était pas totalement ma faute mais j'avais tout de même une part de responsabilité, en demandant à Usagi de venir me chercher à l'Université... Quel idiot, quel idiot ! Je me frappais intérieurement, continuant de courir aussi rapidement que je le pouvais. Soudainement, mon pied buta dans un gros caillou que je n'avais pas vu. La suite était prévisible. Mon pied resta coincé derrière le caillou et mon corps partit en avant tandis que je serrais les dents en prévision de ma chute.

"- Aaaaaaaaah !"

Je n'avais pas pu m'empêcher de crier. De toute manière, qui pourrait bien m'entendre ici ? Mes deux genoux me brûlaient, ma cheville était douloureuse, mais je n'avais pas le droit de rester couché ici. Je me relevais rapidement, serrant fermement les dents pour retenir un gémissement qui menaçait de sortir de ma bouche. Mon sac sur l'épaule, je me remis à courir du mieux que je le pus. Je sentais le sang sur mes genoux, qui venaient tacher mon jean. Le frottement, en plus, était loin d'être agréable. Rapidement, je parvins à atteindre le pont. Avec effroi, je remarquais qu'une personne se tenait debout sur la barrière de ce fameux pont. Dans un réflexe, je ne pus empêcher ma voix de sortir.

"- AIKAWA-SAN !!"

La personne tourna la tête avant de se laisser tomber dans l'eau. J'étais horrifié. C'était Aikawa qui se tenait debout sur le pont et qui venait de sauter dans l'eau ! Sans hésiter, je jetais mon sac avant de moi-même sauter dans l'eau. Elle était vraiment froide... Je faisais abstraction de ce qu'il y avait autour de moi sur terre pour me concentrer dans l'eau, à la recherche d'Aikawa. Rapidement, j'aperçus son corps inerte qui commençait à dériver. Elle n'était pas ?... Non... Non ! Je nageais rapidement jusqu'à elle avant de la prendre dans mes bras et avancer jusqu'au rivage péniblement. Elle n'était pas particulièrement lourde mais mes muscles commençaient à tétaniser avec le froid. Ne pas céder au froid... Je n'ai pas mis longtemps pour revenir sur le rivage, et il était déjà bien temps. Je la déposais au sol, sans même me lever, n'ayant même pas la force de m'extiper de l'eau. J'avais... Si froid... Mes muscles semblaient ne plus réagir. La fatigue était montée d'un seul coup. Je m'engourdissais. Je ne pouvais résister à cet appel si doux du sommeil... Usagi... Mes yeux se fermèrent doucement.

POV Usagi

Misaki sortit en trombe de la voiture, son sac sur l'épaule. Décidément, ce n'était pas ma journée... Entre Aikawa et Misaki, aujourd'hui avait été de loin la pire journée de la semaine. Et même du mois. Peut-être du trimestre. Je soupirais doucement avant de sortir mon portable. Que faire ? Rentrer à l'appartement et attendre tranquillement le retour de Misaki ? Essayer de retrouver mon éditrice ? Aller à la maison d'édition pour clarifier mon départ ? Je décidais finalement de faire un tour de la ville pour essayer de retrouver Misaki et Aikawa. D'une pierre deux coups, si c'était possible et envisageable. Je ne savais pas du tout où les deux avaient bien pu s'enfuir, d'ailleurs. Je déverrouillais l'écran du téléphone avant d'aller chercher Misaki dans mes contacts. Je fermais les yeux un instant, priant intérieurement pour qu'il me réponde. Cet idiot n'allait sûrement pas le faire. Je rouvrais les yeux avant d'appuyer sur le bouton d'appel. Quelques secondes passèrent, avec la tonalité d'appel qui résonnait sans cesse. J'entendais d'ailleurs comme une sorte d'écho.

"- Décroche bon sang... Décroche... Misaki, décroche..."

Je me rendais finalement compte que... Le jeune homme avait oublié son téléphone dans la voiture. Je me frappais intérieurement, en profitant pour le frapper aussi, appuyant sur le klaxon de la voiture. Une dame qui passait dans la rue sursauta, me dévisageant avec un air noir. Je reprenais rapidement le volant. Je devais retrouver les deux avant que quelque chose ne leur arrive. Avoir ça sur la conscience n'était pas quelque chose qui me plaisait particulièrement. Je prenais la route, appuyant fermement sur la pédale d'accélération. Où pouvaient-ils bien être ? Si Misaki avait pris son téléphone portable, j'aurais pu utiliser la localisation par GPS. Malheureusement ce n'était pas le cas. Je prenais la route principale, essayant d'aller le plus rapidement possible le chercher et au passage retrouver Aikawa. Je devais d'abord me demander par où il pouvait bien être passé. Je pensais qu'il voulait retrouver Aikawa, et qu'il avait donc pris le chemin de sa maison. Je me garais sur un parking non loin de là, fermant la voiture et partant à pied sur le chemin en direction de la maison d'Aikawa. Soudain, je me souvenais qu'il y avait un pont sur ce chemin. Misaki et Aikawa l'avaient sûrement emprunté ! Je commençais à courir, arrivant rapidement jusqu'au pont. La vision que j'eus me donna des frissons. Sur la rive, le corps inerte d'Aikawa. Dans l'eau, les yeux clos, immobile, les deux bras posés sur la rive, je découvrais Misaki. Je me précipitais vers lui, appelant rapidement les secours. Je pouvais sentir son pouls et sa respiration mais les deux étaient faibles. Il ne me restait plus qu'à attendre et prier.


Junjou DilemmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant