Game 4 - Fichu rapport

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Confortablement installé dans sa grande chaise capitonnée, le PDG de Wapiti Gaming dévisage sans ciller l'homme à la blouse blanche qui se tient devant lui. Un frisson de crainte parcourt le dos de ce dernier. Derrière lui, la secrétaire, la psychologue, ainsi que les têtes des départements d'analyse et d'informatique retiennent leur respiration.

« Tu m'expliques à quoi je viens d'assister ? »

L'homme à la blouse blanche déglutit bruyamment.

« À du travail d'équipe exceptionnel, Monsieur. »

« J'AI DONNÉ L'ORDRE DE BRISER LEURS RÉSISTANCES PSYCHOLOGIQUES ! Tu devais les plonger dans le désespoir, pas les encourager à travailler ensemble ! », explose le PDG.

« Nous avons utilisé la même technique qu'avec le groupe de février Monsieur. », fait l'homme d'une petite voix. « Elle avait bien fonctionné pourtant... »

« Ils ne sont absolument PAS dans l'état psychologique pour que fonctionne la suite ! Il y a beaucoup en jeu et je ne peux pas perdre ces gros clients ! ALORS TROUVE LE MOYEN DE ME RÉGLER ÇA AU PLUS VITE ! »

Le PDG empoigne le rapport que l'homme lui a remis quelques minutes auparavant et l'agite avec vigueur.

« Et si ton équipe de surveillance me rapporte encore des futilités comme des livres brûlés, je les vire tous ! »

« Oui Monsieur. », fait l'homme penaud.

« Et toi ! », lance le PDG à la tête du département informatique, « tu m'expliques comment une commande de duplication s'est lancée depuis l'extérieur de ton serveur sécurisé ? »

Les genoux du petit homme se mettent à trembler de manière incontrôlable. Il remonte ses fines lunettes sur son nez.

« Un joueur a probablement trouvé les traces du chiffrement d'accès de l'un de nos techniciens... », chevrote-t-il.

« Tu m'as garanti que le serveur était impénétrable. », lâche le PDG d'un ton sec.

« ... »

« Répares ça immédiatement. Et vire deux, non trois membres de ton équipe. »

« Bien Monsieur. »

Le petit homme fuit hors de la pièce, soulagé de s'en sortir à si bon compte. Un silence pesant s'installe tandis que l'homme derrière le bureau réfléchit.

« Il va falloir passer au plan B. », conclut-il à voix haute.

La psychologue ouvre de grands yeux effarés. Elle fait doucement un pas en avant tandis que la secrétaire s'éloigne pour prendre un appel sur son portable de travail.

« Si je puis me permettre Monsieur, le plan B ne devrait être utilisé en dernier recours. Je crains pour la santé mentale de nos invités... Je suis d'avis que la première option, si elle dure assez longtemps, sera on ne peut plus suffisante. »

« Je suis d'accord. », approuve l'analyste. « Nos scénarios ont été soignés aux petits oignons. Il n'est pas nécessaire de sortir nos meilleures cartes aussi tôt. »

Le PDG se frotte les mains, agacé. C'est qu'ils l'énervent avec leurs recommandations à la con. Si ce n'était de l'incident de l'hiver passé, il aurait déjà renvoyé la psy. Il lui a cependant coûté bien cher d'ignorer ses conseils avisés quelques mois auparavant...

Il inspire profondément, luttant contre l'envie de l'envoyer promener, elle aussi. La secrétaire revient hâtivement vers eux, portable allumé à la main.

« Ils ont réussi Monsieur. », dit-elle, l'excitation perçant sa voix. « Le laboratoire a finalement réussi. »

Les yeux du PDG s'agrandissent de stupeur.

« Combien ? »

« Sept, dont un de chaque. »

Le PDG déploie la tête vers l'arrière et éclate d'un rire glaçant. Il se tourne vers ses employés, l'air ravi.

« Voilà qui change la donne ! Le département inutile produit enfin des résultats ! Comment ont-ils fait ? »

« Eh bien, il y a eu un accident, des produits se sont mélangés... »

« Qu'ils bossent pour retrouver la formule ! Il me la faut absolument ! », dit l'homme en se frottant les mains avec cupidité.

À moi le brevet et les milliards qui vont avec !

L'analyste et l'homme à la blouse trépignent de joie, partageant le même soulagement. Sauvés ! Ils sont sauvés ! La psychologue reste, quant à elle, interdite. L'appréhension lui comprime le cœur tel un étau.

« Le laboratoire demande s'il est nécessaire de garder les sept Monsieur. », fait la secrétaire, une oreille collée sur le portable.

« Mais il sont fous ? Détruire les preuves de ma réussite, jamais ! Gardez tout ! », dit-il en se tournant vers l'analyste et le scientifique. « Vous avez deux jours pour intégrer les nouvelles variables; je veux les scénarios sur mon bureau demain matin ! »

Le visage des deux hommes se décomposent sous la charge de travail qui vient de s'abattre sur eux. Ils acquiescent de la tête avant de tourner les talons pour quitter la pièce. Leur patron les hèle aussitôt.

« Toi, lis bien le rapport de la surveillance. Il y a certaines informations croustillantes que je veux voir dans tes scénarios. Et toi, augmente la surveillance sur les quatre qui sont trop intelligents. Ils m'énervent, alors embrouille-les. »

Il se tourne vers la psychologue, qui n'a pas soufflé mot depuis l'annonce de la nouvelle.

« Viens me voir dès l'apparition de signes alarmants, à l'instant où ils se présentent. Peu importe l'heure. Maintenant, sortez ! »

L'homme se frotte les mains joyeusement tandis que ses employés quittent la pièce. Ses ricanements retors les accompagnent un long moment dans le couloir. La psychologue frémit et resserre les pans de sa veste contre elle.

« On l'a échappé belle. », dit l'analyste.

« Tu l'as dit. », fait la psy.

« Il voulait bien parler de Guep, DFG, Étoiles et Fukano comme des quatre trop intelligent, n'est-ce pas ? », demande l'homme à la blouse blanche, tracassé.

« Bien sûr, pourquoi ? », dit l'analyste.

« Pour rien. J'ai seulement l'impression que quelques autres ne sont pas à négliger... »

La psy se garde bien de tout commentaire. Le dernier message codé de Raphaël laisse entendre exactement la même chose. Elle espère de tout cœur qu'ils pourront sauver le groupe avant que des dommages irréparables ne soient commis.

Ils doivent mettre le plan en action coûte que coûte. L'avancée scientifique tant redoutée change tout. Les enjeux sont beaucoup trop importants. Alors que les portes de l'ascenseur se referme sur elle et ses collègues, la psychologue renouvelle en elle-même la promesse solennelle qu'elle s'est faite en février; de tout faire pour éviter qu'un autre de ses protégés ne choisisse le suicide pour échapper aux griffes cruelles de Wapiti Gaming.

Jusqu'au boutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant