Le dîner

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Amandine avait la bouche grande ouverte, mais aucun son ne sortait. Elle était profondément abasourdie par cette annonce.
Elle commença à voir trouble. Ses yeux lui piquaient. Ils s'emplirent de larmes, mais aucune ne voulut en sortir. Sa gorge était subitement devenue sèche, et elle se sentit nauséeuse. Elle commença à ressentir de fortes pulsations dans sa tête, comme si on venait de lui donner un coup violent. Ses oreilles bourdonnaient, comme l'aurait fait la ruche des abeilles. Sa respiration devenait de plus en plus irrégulière, si bien qu'elle ne trouvait de l'oxygène que par saccades. Le paysage commençait à tourner autour d'elle. Elle vacillait légèrement de gauche à droite.

Elle se laissa tomber sur sa chaise, bras ballants et regard dans le vide. Le sang lui montait à la tête. Elle commençait à suffoquer. Tous les membres de son corps tremblaient frénétiquement.

Cela ne pouvait pas être vrai. C'était uniquement une mauvaise blague de la part de son oncle et sa tante. Oui, c'est ça. Il lui dirait, là maintenant, que cette déclaration était inventée de toute pièce, que c'était uniquement pour la charrier. Elle allait finir son dessert, se débarbouiller, et s'endormir paisiblement. Le lendemain, elle rigolera de toute cette histoire avec Francesco.
Sa vie ne pouvait pas basculer comme ça. On n'avait pas le droit de la lui retirer !
Mais son oncle et sa tante ne disaient rien. Et ils ne diraient rien.

Amandine sentit son corps et son esprit la quitter petit à petit. Elle était indignée, en colère, enragée, exaspérée, mais aussi anéantie et consternée. Elle avait l'impression d'être souillée, qu'on l'avait utilisée toutes ces années pour un seul et unique but.

Le château entier était plongé dans le silence. Même la nuit dehors avait cessé de vivre. Le seul bruit que l'on pouvait entendre était les petits sanglots d'Amandine, qui soulevaient sa poitrine convulsivement. Pourtant, elle mordait l'intérieur de ces joues pour ne pas fondre en larmes.

Comment pouvaient-ils lui faire cela ? Pourquoi cela lui arrivait-il ? Qu'avait-elle fait pour mériter ce destin ? Marier à un homme de force, quelle pire atrocité pouvait il exister dans la vie d'une femme ! Elle sentit cette nouvelle comme une trahison de la part de ses tuteurs. Certes, elle ne les avait jamais portées dans son cœur, mais tout de même ! Un mariage arrangé ! Un mariage de force !

M. Aubry ne semblait nullement touché par la réaction de sa nièce. Il gardait son visage de marbre, le regard droit devant lui. Sa femme s'était mise à fixer l'horloge, comme si elle contait les secondes en moins de sa nuit de sommeil.
Tout à coup, l'homme qui se trouvait à la gauche d'Amandine, bailla bruyamment.

-Tu as fini ?

Son oncle marmonna ses mots avec impatience et dureté.
Amandine ne parvenait pas à se calmer, mais elle réussit néanmoins à articuler entre deux respirations :

- Pourquoi ?

M. Aubry sortit de sa poche un cigare. Il l'alluma, et en prit une grande bouchée qu'il souffla lentement.
Après un moment, il dit enfin :

-C'est arrangement comme tu peux t'en douter. Un arrangement politique et économique très bénéfique, autant pour toi, que pour moi et que pour ma famille.
- Écoute moi bien ma fille, (sa tante s'était finalement décidée à se prononcer) ton oncle a conclut une affaire très favorable qui ne se représentera jamais ! Tu nous en sera reconnaissante jusqu'à la fin de ta vie, crois-moi !

Ils ne répondaient pas à sa question, ils passaient à côté de l'essentiel.
Cette fois-ci, cela en était trop pour Amandine, qui perdit son sang froid et se mit hors d'elle. Elle éleva le ton d'une voix perçante et répéta en détachant chaque syllabe :

-Pour-quoi !

Son oncle roula des yeux et reprît une grande bouchée de son cigare. Dans une intense fumée qui l'entourait, il déclara :

La Première Dame Où les histoires vivent. Découvrez maintenant