L'univers d'Iurne

Chapitre 4 Partie 1 : Responsabilité

Zaeer fit un pas de recul. Il se trouvait devant le responsable de l'asservissement de la population. Celui qui a mis en place toutes les règles qui l'ont terrifié des années durant. Lorsqu'il s'était imaginé ceux qui pensaient ces procédures, il visualisait des personnes aux traits carnassiers. Pourtant il avait en face de lui un homme grand, rond, à l'air détaché et qui l'avait traité plus humainement que n'importe qui auparavant. Il n'y avait pas la moindre agressivité chez Paul. Zaeer ne se sentait pas en danger face à cet homme qui regardait paisiblement des oiseaux passer au-dessus de leur tête.

– Tu réagis mieux qu'Audra. S'amusa Paul. Quand je lui ai dit, elle m'a sauté dessus et m'a cassé le bras avant d'essayer de s'enfuir.

– Tu l'as dit toi-même, il est impossible de s'enfuir. Répondit Zaeer sur ses gardes.

– Effectivement. Je me suis dit que j'aurai peut-être besoin de Gardiennes à l'avenir, mais quand je t'ai vu à la caserne, j'ai compris que ça ne serait pas nécessaire. Tu es du genre à gamberger avant d'agir. Dit Paul avec un sourire sincère.

Zaeer était sur le point de chercher des réponses, il voulait confronter Paul, mais il réalisa quelque chose qui pourrait lui donner l'avantage.

– Je n'ai aucune raison de te sauter dessus et te casser le bras, tu sers Nation du mieux que tu peux.

– C'est plutôt réussi. Je pense que ça passerait devant les autres, je le pense. Dit Paul gentiment. Seulement, tu dois t'en douter, je te connais un peu. En tant que libre penseur, tu es sur nos radars depuis un moment. Tout dans ton comportement et tes constantes laisse croire que tu ne partages pas la vision de Nation.

Zaeer déglutit.

– Encore une fois, ce n'est pas un problème. Il est illusoire de penser que tous les libres penseurs acceptent et embrassent la philosophie de Nation. Moi-même j'en suis assez incertain. Je pense qu'à part Léviathan, nous avons tous des doutes.

– Si tu as des doutes alors pourquoi faire ça ? Zaeer ne pouvait plus contenir sa rancœur.

– Tu te souviens de la voiture qui nous amenés ici ? Dit Paul en s'asseyant sur le rebord de la fontaine.

– Oui. Répondit Zaeer sans comprendre le sens de la question.

– Serais-tu prêt à nouer un lien avec elle ?

– Avec..., la voiture ?

– Précisément. Veux tu être ami avec la voiture ?

– Je ne comprends pas... C'est une voiture.

– Et alors ? Paul avait le ton de l'enseignant qui poussait son élève vers la bonne réponse.

– Je ne peux pas être ami avec une voiture. C'est une machine, elle n'a pas d'émotion, je ne peux pas échanger avec elle et puis...

– Exactement ! Le coupa Paul. Tu as tout dit. Les personnes qui sont sensibles à l'hypnose sont comme des machines, sans personnalité, sans émotion, sans réflexion. Impossible de nouer des liens avec elles. Elles n'ont pas notre valeur. Nous sommes l'élite, des êtres supérieurs à l'esprit irréductible. Pourquoi m'arrêter pour du bétail ?

– Mais ce sont des êtres humains ! S'exclama Zaeer. Sans les assistants vocaux...

– Du moins. Paul coupa Zaeer d'un geste de la main. C'est ce que je pensais. Tu sais tout était différent à la fin de ma formation.

Paul commença à lui parler de l'époque où il était le seul Léviathan.
Zaeer pensait que Nation avait plusieurs centaines d'années d'existence, c'est en tout cas ce que laissaient penser les discours. En réalité, Paul lui apprit que Nation était un jeune pays et qu'il était le premier Léviathan. Nation savait qu'il y aurait beaucoup de libres penseurs durant les premières générations, aussi les dirigeants ont-ils décidé de créer cette formation et le concept de Léviathan.
Paul était un jeune soldat brillant qui comprenait instinctivement les règles de la formation ainsi que les intentions de ceux qui l'entouraient. Doté d'un sens aigu de l'observation et de la lecture des émotions des autres, il sortit largement premier. On lui répétait tous les jours qu'il était un être ultime et que tous ceux qui n'étaient pas comme lui étaient du bétail tout juste bon à obéir aux ordres. Personne à Nation ou Europe n'était aussi unique que lui. Il était même fier de partager ses déductions à voix haute, impressionnant au passage professeurs comme gradés. À la sortie de la formation, on l'envoya au ministère de la Défense où une armée de serviteurs était là pour lui rappeler sa supériorité, le servir et lui donner les moyens de développer ses compétences. Après lui avoir fourni assez de documentation, on lui proposa de réaliser ses propres expériences. Des années durant, il testa les citoyens sensibles à la suggestion et ceux qui résistaient temporairement afin de trouver l'ajustement parfait pour chaque personne.
Ce n'est qu'après sa rencontre avec Léviathan qu'il commença à changer. Une autre personne était totalement hermétique à la suggestion, il n'était plus unique. Il commença alors à remettre en question ses méthodes et ce qu'il pensait être. C'est alors que le parti lui proposa de réaliser une mission en tandem avec Léviathan. Ils auraient l'autorisation temporaire de quitter le pays. Pour la première fois, Nation allait entrer en discussion avec Europe via Léviathan. Pendant ce temps, Paul pourrait s'infiltrer dans le pays et récolter des informations, apprendre ce qu'Europe savait réellement sur Nation et voler des informations scientifiques. C'est durant cette mission que la réalité de Paul vola en éclat. Tous les citoyens et citoyennes d'Europe, sans exception, étaient des libres penseurs.