Chapitre VII

131 7 2
                                    

Le Seigneur Askeladd devait être vexé par ma réflexion sur sa manière de gérer sa carrière militaire, car il ne chercha plus à me contacter pendant plusieurs semaines. Tout comme le Seigneur Thorkell avant lui, il ne m'accordait plus un regard. Quel rancunier !

Je devais dire que cela me préoccupait. J'avais aimé ces moments passés en sa compagnie, sa manière d'agir en professeur patient... Je rougissais à ces pensées.

- A quoi tu penses ? me demanda Thorfinn.

Depuis le début de la journée, nous entretenions les équipements des chevaux : le cuir devait être graissé régulièrement pour rester souple.

- Rien, j'ai dit. A rien du tout...

- Tu devrais oublier cette histoire, conseilla-t-il, bienveillant. Je ne crois pas que c'est une bonne idée de fréquenter un Seigneur quand on est... comme nous, quoi.

Je ne répondis rien car je savais que Thorfinn avait raison. J'aurais dû rester à ma place, et ne pas trop en attendre d'un homme qui pouvait tout obtenir, quand cela lui chantait.


L'hiver était bel et bien installé. Le froid mordait les malheureux qui avaient pensé à tort pouvoir quitter leur habitation sans porter leurs gants. Cela était le cas de Thorfinn, qui souvent s'aventurait sans manteau dans l'air glacial pour aller nourrir les chevaux.

- Tu vas rester gelé sur place un jour, j'ai dit en le voyant entrer hâtivement pour se jeter auprès du feu.

- Brrrr... T'en fais pas... Quel froid de canard...

Nous parlions un peu au coin du feu, profitant de ce rare moment de tranquillité. Mais cela ne dura pas : quelqu'un entra sans frapper.

- Ah, tu es là, dit le Seigneur Thorkell en approchant.

Thorfinn et moi restions figés. Quand il se pointait en personne, c'était rarement bon signe.

- Viens avec moi, m'ordonna-t-il, déjà prêt à repartir.

- Bien, mon Seigneur.

Je m'activai afin d'enfiler mon épais manteau et entreprit de le suivre à l'extérieur. Je lançai un regard interrogateur à Thorfinn, qui se contenta d'hausser les épaules.

La maison des Seigneurs était sans surprises la plus confortable du village, si bien que chacun possédait sa propre chambre. Quel luxe, j'ai pensé.

- Tu te demandes pourquoi je t'ai fait venir, souligna Thorkell en retirant le bandeau tenant ses cheveux, qui tombèrent en cascade autour de son visage.

- Je... Oui, mon Seigneur. Je m'interroge.

Il sourit grandement, découvrant d'immenses dents.

- Et bien, figure-toi que je sais ce qui se passe avec mon confrère. Et je dois dire que je suis un peu...

Son regard s'assombrit.

- Jaloux.

Je déglutis avec difficulté. Un sentiment me traversa, entre le dégoût et la surprise. Je décidai de ne rien en montrer.

- Il n'y a rien entre le Seig...

- Ah non, hein ! Pas de mensonges ! Tu vas aggraver ton cas...

Il me tourna le dos pour se diriger vers le plan de travail, où un lapin dépecé attendait d'être cuisiné. Thorkell s'en saisit et le leva à hauteur de mon visage.

- Je te comparerai volontiers à ce petit lapin. Je m'explique : il est frêle, disponible. Appétissant.

- Disponible ? j'ai dit en arquant un sourcil.

- Oui. J'en fais ce que je veux.

- Sauf... Sauf votre respect, je ne suis pas une esclave, Seigneur Thorkell.

Thorkell fronça les sourcils, et en une fraction de seconde, écrasa la carcasse du lapin contre le plan de travail. La bête ne ressemblait désormais plus qu'à un tas de chairs informes. Un frisson de peur parcourut mon échine. Je reculai, effrayée.

- N'aie pas peur. J'en ai assez qu'on me prenne pour une bête féroce. C'est vrai, quoi, moi aussi je peux être tendre.

D'un geste désintéressé, il lécha ses doigts pleins de sang du lapin, comme s'il s'agissait d'une friandise.

- J'aimerais qu'on ait le même genre de relation que celle que tu entretiens avec Askeladd. Le veinard...

- Je refuse.

Je ne sais pas d'où m'était venu cet élan d'effronterie. Instinct de survie, sans doute, à l'idée de passer dans ses bras. La nuque de Thorkell craqua comme lorsqu'il s'apprêtait à monter sur un champ de bataille.

- Bien, souffla-t-il.

Cette fois-ci, l'étonnement balaya toutes mes autres émotions. Je tentai tant bien que mal de le cacher, mais il n'était pas dupe.

- Je vois que toi aussi, tu crois que je suis une machine à tuer. J'aime ça, je ne vais pas mentir. C'est tout ce que je connais.

Qu'on me pince, je rêve. Je crus apercevoir une lueur de tristesse passer dans le regard du géant. Il se laissa tomber sur un fauteuil, face à la cheminée. Ses épaules s'affaissèrent.

- C'est mon tempérament de chef - de bourreau - ... Qui m'a laissé penser que tu m'accorderais plus que ce regard méprisant.

- Seigneur Thorkell... Je...

- Ne dit rien. Je ne te forcerai pas, va-t-en si tu le souhaites. Tu l'as dit toi-même, tu n'es pas une esclave.

Je repensais à sa fureur quand il m'avait frappé. Sans doute qu'en montant son soi-disant indomptable cheval, je l'avais humilié devant toute la troupe. J'avais percé sa carapace, montré au monde qu'il n'était qu'un homme.

- Seigneur Thorkell. Je crois deviner que vous n'avez pas tant du monstre que vous voulez qu'on croit que vous êtes. Mais je ne peux pas vous faire confiance, et encore moins vous montrer de la sympathie, après ce qui s'est passé ; vous savez...

- Je t'ai frappée, coupa-t-il. Je m'en souviens très bien. Je l'ai regretté plus tard, crois-le ou non. Mais crois aussi que mon coup n'était pas aussi puissant qu'il aurait pu l'être.

- Le Seigneur Askeladd me l'a dit. Vous m'auriez brisé la mâchoire si vous l'aviez voulu.


Mais je n'allais quand même pas le remercier, si ? Avant que je ne me plonge plus loin dans mes réflexions, la porte de la maison s'ouvrit, laissant apparaître Askeladd.

- Bonsoir, Thorkell. Tiens, tu es là, toi.

Son regard perça le mien et je pus y voir clairement du reproche. Une pointe d'agacement me saisit. Il ne m'avait pas adressé un mot depuis des semaines, et voilà qu'il allait se mettre en colère. J'en avais assez de ces histoires, je n'aurais jamais dû accepter dès la première fois.

- Seigneur Thorkell, Seigneur Askeladd. Si vous me le permettez, je vais rejoindre les autres travailleurs. Nous devons terminer d'entretenir le matériel des chevaux.

- Non, trancha Askeladd.

Il s'approcha rapidement de moi. Sa poigne de fer me saisit le bras et le serra. Je n'avais pas assez de force pour me dégager. Il me toisa quelques secondes avant de se pencher vers mon oreille, de manière à ce que Thorkell ne l'entende pas. Le contact de sa barbe sur mon cou me fit frémir. Sa voix grave me caressa l'oreille. Il savait parfaitement ce qu'il faisait.

- Reviens me voir, à la nuit tombée. S'il te plaît.

Je restai figée. Mon corps ne mentait pas : je brûlais d'envie de le revoir. De le sentir à nouveau.

- Peut-être, j'ai dit.

Il eut un sourire qui me signifia qu'il connaissait déjà ma véritable réponse. Je lui lançait un regard noir avant de quitter la maison.

THE FANFICTION - VINLAND SAGA x O/COù les histoires vivent. Découvrez maintenant