8 - Artist

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              « Qui c'est~ ?, se plaquent deux mains potelées sur mes yeux, douces à l'odeur d'antiseptique.

— Oh, Cajsa... Salut...

Elle rigole. Un joli son clair, comme un tintement. Je repose l'arrosoir sur le comptoir, et regarde le bouturage que je viens de planter, dans la serre.

Il a l'air triste.

— Dis-moi Rajan, tu savais que Boel nous avait ramené un présentoir de papillons que son petit-ami lui a offert ? Il est vraiment magnifique, il faut absolument que tu le voies !

— Ah... Ouais...

Cajsa attrape une de mes mains dans les siennes, soucieuse. Elle ne fait pas attention à la terre qui m'encrasse, elle relève ses yeux tout agates vers moi.

— Ça va, Rajan ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette...

Je pousse un long soupir.

Comment puis-je aller bien...

— Tu as déjà « couché avec quelqu'un », Cajsa ?

Surprise, elle recule, et un rose bonbon gagne ses jours claires. La lumière qui perce les vitres de la serre à travers les feuillages forme de petites ombres sur son visage écarlate, ses jolis yeux écarquillés. Sa bouche fait un petit cœur de lèvres brillantes et presque violacées.

Cajsa est si belle...

J'espère que les gars du régiment ne pensent pas d'elle ce qu'ils pensent du Séraphin, mais...
Ce serait naïf d'y croire.

— Oh, hum, tu es sérieux-... Hum, non, je n'ai jamais fait ça, Rajan... Et-... Et toi ?...

Je m'accoude aux bacs de terreau.

— Non.

Je ne vois pas l'intérêt.

Pourquoi irais-je « enfoncer ma bite dans le cul » de qui que ce soit ?
Ça sonne vraiment glauque.

— C'est juste que... Les gars, le soir... Ils disent plein de choses dégoûtantes sur ça... Ça me rend triste.

— Ç'a un rapport avec le Séraphin ?

— Ouais... Ils n'arrêtent pas de dire qu'il est « un trou », et qu'il n'est dans l'armée que parce que le Président « couche avec lui »...

Elle hoche la tête, et lisse sa robe à fronces rose et son tablier blanc avant de s'asseoir sur un pot en céramique à l'envers.

— Oui, j'ai eu ouïe de ces rumeurs... Si cela peut te réconforter, je les pense fausses. Du peu que je sais sur le Séraphin, je ne crois pas qu'il se serait abaissé à donner son corps pour sauver sa peau. Dans la légende, il a massacré tout le monde, et je ne pense pas qu'il comptait expier son crime. Encore moins par ce moyen-ci.

— Je sais ! Moi je pense qu'il n'aurait jamais fait ça, jamais de la vie ! Et puis s'il l'avait fait, je m'en fiche, ce ne sont pas mes affaires ! Mais, Cajsa... Ces gars sont des monstres... Ils ne respectent personne... Ils ne m'aiment pas moi, ils n'aiment pas le Président, ils n'aiment pas leurs supérieurs, ils n'aiment pas le Séraphin, et ils n'aiment même pas les pauvres infirmières qu'ils draguent ! Je les déteste, je les déteste et je dois me battre pour eux sur le front ! Dormir avec eux tous les soirs, me taper leurs corvées, les écouter traiter les filles de « putes » quand elles refusent leurs avances !

J'ai envie de pleurer encore une fois, mais devant Cajsa, ce serait humiliant. Et je ne veux pas que ma tristesse envoie de mauvaises ondes sur les plantes.

Je retournerai pleurer aux toilettes avant les ordres du jour méridiens, ça me défoulera.

— Tu sais, Rajan, tu ne peux pas les empêcher de penser comme ça, mais tu peux être fier de ne pas être comme eux.

Ropes and InkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant