Vices & Délices

I. Sasha

Mon réveil hurle ma musique favorite pour la cinquième fois mais encore une fois, je préfère l'éteindre et activer le rappel cinq minutes plus tard. Je serais en retard au lycée. Une fois n'est pas coutume.
J'entends des talons claquer sur le parquet de l'escalier, elle monte plus vite que d'habitude. Je sais qu'elle est dans ma chambre à l'instant où elle se met à crier mon nom. Préférant faire abstraction, j'enfouis mon visage sous l'oreiller pour me protéger de ce qu'elle va faire. La lumière envahit ma chambre brutalement, je grogne à travers la mousse mais elle ne se démonte pas pour autant. Je la sens tirer sur le carré de tissu en continuant de crier mon prénom de sa voix beaucoup trop stridente pour un réveil. Un grand coup sec et mes paupières closes sont agressées par la forte luminosité. Avec un autre grognement dont je suis experte, je me plonge sous l'épaisse couette. Je l'entend souffler, exaspérée.
Tous les matins c'est pareil ! Allez, tu te lèves de suite Sasha ou je te sors moi-même du lit ! crie- t-elle en tirant maintenant sur la couette. 
C'est vrai, tous les matins elle me menace de la même façon et finalement, elle ne me sort pas de mon lit. Je sais qu'elle a trop peur d'abîmer son impeccable coiffure et le maquillage qu'elle a mis une heure à faire. Elle finit toujours par hurler le prénom d'un autre membre de la famille pour qu'il vienne me sortir du lit. Qui est-ce que ça va être aujourd'hui ?
Sawyer ! Hurle-t-elle en tentant une dernière fois de m'attacher la couette. Viens sortir ta sœur de son lit de suite.
Bordel, il a fallu qu'elle l'appelle lui. Mon jumeau est un sportif accompli et pratique chaque jour au moins une heure de musculation pour être au top à la crosse, il va me soulever comme un sac et m'embarquer sans ménagement jusqu'à la cuisine sur son épaule, quitte à emporter la couette si j'y reste accroché. J'entends ses talons claquer dans le sens inverse. Sawyer ne doit plus être loin. J'ose un regard par-dessus les draps et aperçois mon frère accoudé à la porte, il a un magnifique sourire satisfait, dévoilant une belle rangée de dents éclatantes sur son visage bronzé. Son regard malicieux ne me dit rien qui vaille, pourtant il ne bouge pas et continue de sourire. Je me redresse vivement.
Quoi ?
Noah et Caden ont passé la nuit ici ... répond mon frère en laissant planer le suspens sur son plan.
Je m'éjecte littéralement du lit et jette instinctivement un coup d'œil à mon reflet dans le miroir  accroché à côté de mon lit. J'entends le rire de Sawyer qui s'élève lorsqu'il quitte le pas de la porte. Ne pouvant plus supporter son insupportable arrogance, j'attrape l'oreiller que Nell a laissé sur le lit et le jette dans la direction de mon frère. Il s'écrase à un bon mètre de lui, devant mon regard médusé, déclenchant un autre fou rire chez cet idiot. Je préfère tourner les talons et claquer la porte avec le peu de force dont je peux faire preuve, surtout à peine réveillée.
Écrasant mon front contre le bois, je soupire bruyamment et lâche un grognement inaudible. Je déteste quand elle appelle Sawyer et je crois qu'elle commence à le comprendre. Je ne suis pas de taille à me battre contre mon jumeau. Il est bien trop créatif pour me faire devenir folle et trouver des plans qui me font sortir de mes gonds.
Soudain ma porte s'ouvre à la volée et bien sûr, je la prends en plein visage.
Dépêche toi ma puce, tu vas ... commencé mon père en passant la tête. Mais qu'est ce que tu fais derrière la porte ?
J'essaie de résister à l'envie de mettre de la mort aux rats dans les céréales de Sawyer !
Ça fonctionne ? Me demande-t-il avec ce sarcasme qui caractérise notre famille.
Pas vraiment, dis-je en entendant une fois de plus le rire infernal de Sawyer venant de sa chambre.
Écoutes, je n'ai pas envie que Kate me fasse une scène car mes enfants ont les mêmes défauts que moi, alors, dépêche toi s'il te plaît ... et pour te faire gagner du temps, la mort aux rats est à la cave, conclut mon père avec un clin d'œil.
Hochant la tête, je pousse la porte pour l'aider à sortir et surtout m'isoler des éclats de rire de mon frère que j'entends à l'autre bout du couloir. Encore une fois, il a fallu qu'il fasse venir ses amis pour la nuit. Déjà que je ne suis pas à l'aise quand ils sont là en journée, c'est encore pire s'ils sont présents au petit matin. Mais qui suis-je pour empêcher mon frère de régner en coq sur sa cour ?
J'attrape un jean qui traîne sur ma commode et déniche un t-shirt propre dans un tiroir. Une queue de cheval rapide et hop, je suis déjà prête à descendre. Saisissant mes rangers et mon sac à la volée, je dévale les escaliers en priant pour que Sawyer et ses copains ne soient pas encore à la cuisine, et déjeuner en paix.
Raté. Je percute de plein fouet Caden en entrant brusquement dans la pièce. M'écrasant contre son torse, je redresse la tête dans l'intention de m'excuser mais je perds tous mes moyens en croisant son regard bleu et son sourire taquin.
Désolée, dit il avec une voix sensuelle qui ferait fondre n'importe quelle femme sur cette terre.
Je secoue nerveusement la tête et lève les yeux sur le table, Noah et Sawyer sont là aussi, sans parler de notre père, de Kate et de nos deux  jeunes frère et sœur. Espérant un sauvetage inespéré, je croise le regard moqueur de mon adorable jumeau. Évidemment il ne va pas me sortir de ce pétrin, s'il pouvait il m'y pousserait un peu plus dedans.
Sasha ! J'ai fini le livre que tu m'as offert hier ! S'exclame notre jeune sœur, le visage lumineux de fierté du haut de ses sept ans.
Super.
Je passe à ses côtés et frotte sa tignasse blonde avec amour, caressant de l'autre main celle de notre petit frère par la même occasion. Ce dernier me dédie un sourire à croquer, la bouche pleine de chocolat.
Tu as trouvé la mort aux rats ? Me demande mon père avec un sourire amusé.
Non.
Une autre fois ! Répond - il en haussant les épaules. Les occasions ne manquent pas avec Sawyer.
Mouais.
De quoi vous parlez ? Qu'est ce que j'ai encore fait ? S'indigne mon jumeau avec un air faussement vexé.
Je ne sais pas, sourit notre père. Mais la sanction que prévoit ta sœur est forcément méritée te connaissant.
Je ne peux empêcher un sourire de se dessiner sur mon visage. Je sais que notre père nous aime tendrement tous les quatre mais il est vrai que seul Sawyer et moi avons hérité de sa passion pour le sarcasme. Malheureusement Sawyer a aussi pris sa facilité à la taquinerie et adore s'en servir sur moi.
Evidemment tu es de son côté ? Bougonne mon frère avec une moue blessée.
Moi aussi je suis du côté de Sasha ! Déclare notre petite sœur avec un air sérieux.
Ça m'aurait étonné, râle Sawyer en soufflant. Et toi ?
Pareil, répond le petit garçon avec un sourire tendre envers moi.
Kate sauve moi ! Gémit Sawyer, ce qui fait éclater de rire le reste de la famille, ses deux amis en tête.
Je n'ai plus le temps, sourit la principale concernée en embrassant ses deux jeunes enfants. A ce soir mes chéris, bonne journée à tous.
Kate disparaît par la porte comme un coup de vent, faisant une fois de plus claquer ses talons aiguilles sur le parquet en chêne massif. Notre père embrasse lui aussi les plus jeunes  et pose un léger baiser sur mon front. Se saisissant de son mug isotherme, il se tourne vers Sawyer.
Je sais que tes copains sont avec toi mais c'est ton tour de déposer les petits, dit-il avec un sourire moqueur. Courage ! Puisse le sort vous être favorable, ajoute notre paternel pour les trois adolescents.
Un éclat de rire m'échappe tandis que j'avalais la dernière gorgée de mon café latte. Sawyer me lance un regard furieux. Nos jeunes frère et sœur font ensemble le signe à trois doigts, emblème de la série de film.
Joyeux hunger games ! Clame t-ils ensemble d'un air trop sérieux pour leur petites bouilles.
Tu veux monter avec nous Sasha ? Me demande Caden, me laissant encore une fois hypnotisé par son sourire.
Non m... (Je n'arrive pas à finir mon mot et déglutit péniblement).
On a pas assez de place. Avec les monstres, je peux prendre personne d'autre. Et puis avec l'entraînement je dois rester ce soir, tu iras les chercher Sasha s'il te plaît ?
Oui.
Allez ma troupe, on fonce à l'école avant que je sois en retard en cours s'il vous plaît ! Finit Sawyer en se levant, entraînant tous les autres dans sa marche.
Je profite d'avoir un peu de temps devant moi pour mettre toute la vaisselle sale dans la machine et ranger le petit déjeuner, Kate sera contente de rentrer dans une maison propre.
Mon carrosse me dirige jusqu'au lycée que je fréquente depuis à peine deux mois. Nous avons emménagé en début d'année, m'obligeant à quitter la ville où j'avais toutes mes habitudes. Quelque chose de délicat pour une personne comme moi qui a d'énormes difficultés à nouer des relations sociales, mais notre père a enfin eu l'occasion d'avoir le poste dont il rêvait depuis des années et je n'ai pas eu le cœur de briser sa carrière simplement pour une année. De toute façon, j'aurais dû quitter Monroe pour l'université à la fin de l'année donc peu importait au fond. Et puis Monroe me faisant prendre les mauvais chemins.
En arrivant sur le parking, je râle intérieurement en pensant à mon premier cours de la journée. Mademoiselle Smith va encore tenter de me forcer à récapituler la dernière leçon avec son sourire sadique quand elle verra que j'arrive pas à mettre un mot devant l'autre. Puis voyant que je finis par abandonner, elle va, une fois de plus, prendre la classe en exemple, pour dire haut et fort que les gamines comme moi ne finissent jamais à la cour suprême mais plutôt à servir des frites dans un fast-food. Bien sûr, je ne suis pas sa seule tête de turc mais c'est plus facile avec quelqu'un qui a des problèmes pour parler devant du monde. Je gare ma mustang flambant neuve, une idée de mon père pour attirer de potentiels amis et traîne mon corps jusqu'à l'intérieur, le regard fixé sur mes pieds pour éviter de me rendre à quel point ce lycée est plein d'inconnus. Je sens un poids s'écraser sur mon dos avec un cri strident qui ressemble à mon prénom. Key m'a encore sauté dessus. Il glisse le long de mon dos, me permettant de me tourner vers lui. Key est une des seules personnes de cette école à avoir réussi à mettre assez à l'aise pour nouer une relation amicale. Je n'ai pas besoin de me forcer avec lui, il a vite comprit mon problème et fait comme si de rien n'était, posant des questions et y répondant lui-même juste en regardant les traits de mon visage changer au fil de la discussion. Il dit tout le temps que mon visage est plus loquace que ma maigre conversation. C'est un garçon de petite taille, à peine un peu plus petit que moi, avec des cheveux noirs tombant en masse sur son front, cachant souvent ses yeux bruns. Il a un style atypique mais que je trouve vraiment sympa et pour lui, peu importe ce que pensent les autres, tant qu'il est bien dans ses fringues. Je me demande quand même comment on peut être à l'aise dans un jean aussi Skinny, avec un débardeur moulant, un top résille et des baskets montantes rose fluo. Sans parler de la ribambelle de bijoux qui orne son corps : de nombreux piercing aux oreilles, au nez et à là lèvre inférieure et des tas de collier et de bracelets de couleur toujours plus pep's les unes que les autres.
Salut.
On raconte déjà que tu as eu la chance de voir Caden Miller et Noah Davis en petite tenue ! S'écrie-t-il tout excité. Alors ils sont aussi sexy torse nu que dans leur tenue de crosse ?
Pas vue.
Peut être mais à ce que je remarque, tu aurais bien aimé te rincer l'œil, éclate t-il de rire, en voyant ma mine troublée.
Tu ne veux pas arrêter de l'embêter s'il te plaît, Key ! Ordonne Lolye, la deuxième personne avec qui j'ai réussi à sympathiser.
Je l'embête pas Lolye, je mène une enquête.
Tu crois vraiment que Sasha est le genre de fille à passer une soirée avec trois bonhommes en sous-vêtements qui n'ont sûrement rien d'intéressant à raconter .
C'est sûr que la conversation devait pas être très intelligente, surtout avec ce pauvre Noah, s'esclaffe mon ami.
Lolye lève les yeux au ciel devant tant de superficialité. C'est étonnant que Key et elle soient si bons amis alors que leurs caractères sont autant opposés. J'ose un sourire que la jeune fille me rend avec franchise. Lolye est fille gentille mais souvent autoritaire et critique, et surtout beaucoup trop directe, ce qui lui vaut d'être exclu par beaucoup d'élèves. Elle a de long cheveux blond, qu'elle coiffe chaque jour en queue de cheval parfaitement tirée et épinglée et de grands yeux verts, sûrement  légèrement agrandis par les verres épais de ses lunettes. Ses vêtements sont toujours sobres mais élégants et je ne crois pas l'avoir vu deux fois avec la même paire de chaussures.
La sonnerie retentit au milieu de leur échange et j'emboîte les pas à Lolye, ayant cours au même étage qu'elle. Key nous laisse devant l'escalier avec de grands gestes d'adieu exubérants, déclenchant un soupir exaspéré chez mon amie. Je ris sous cape mais me reprend dès que la jeune fille jette un regard furibond sur moi. Elle m'abandonne sur le pas de ma porte de classe avec un geste réconfortant, connaissant parfaitement mademoiselle Smith.
Courage, dit-elle en s'éloignant, me laissant nerveuse et dépitée, n'ayant aucune envie d'entrer dans cette maudite salle.
Viens, on sèche et on échappe à cette harpie, souffle une voix rauque contre mon oreille.
Je sursaute et me tétanise quand je réalise que Caden est derrière moi, effleurant l'arrière de mon oreille avec une mèche de ses cheveux. Je sens la vibration de son rire léger et ce son m'électrise de la tête aux pieds.
Tu es vraiment très timide comme fille, toi, déclare t-il avec un rire franc en redressant son buste, m'éloignant de son souffle chaud. 
En me tournant vers lui, je remarque à quel point il est grand, me dépassant d'une bonne tête, mon regard se posant au-dessus de l'encolure de son t-shirt.  Je lève les yeux vers son visage et nos regards s'accrochent. Je sens un feu s'emparer de mon corps devant ce visage aux traits parfaits. Ma main commence même à se lever dans l'espoir de se diriger vers lui, je la stoppe vivement.
Au fond, je ne suis pas vraiment timide. J'ai des tas de choses à dire mais les mots ne veulent jamais sortir. Des répliques pleines d'humour me viennent naturellement, hélas elles ne franchissent jamais la barrière de mes lèvres.
Son sourire s'élargit. Je penche légèrement la tête, comprenant qu'il vient d'avoir une idée qui lui semble lumineuse. Sans perdre une seconde, il se saisit de mon poignet et m'entraîne dans une course effrénée vers l'extérieur du bâtiment. Il me fourre à la place passager de sa voiture, fait le tour en courant, entre et démarre pour sortir à vive allure du parking. Tandis qu'il fixe la route avec un sourire amusé et vainqueur, je me rends compte que je viens de me faire kidnapper.