2. Maelle

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Huit heures plus tôt...

Maelle rêvait de repeindre le monde.
La couleur fade des immeubles, le bitume des rues et même le teint blafard des citadins :  tout était si gris qu'elle en devenait malade. Il allait pleuvoir sur toute la capitale. Cela se pressentait au parfum du vent, à la course ralentie des nuages.

Maelle inspira profondément en avisant les arbres du boulevard, leurs branches se dressant fièrement vers le ciel, tels des bras grands ouverts, invoquant les ondées de leurs prières silencieuses. Elle enfonça son nez dans son écharpe et les mains dans ses poches. Ses doigts glissèrent sur une sphère d'argile avant de l'en extirper et de la jeter discrètement entre les racines d'un des arbres sur son chemin. Elle continua sa route sans que personne ne la regarde. Elle avait l'habitude de se déplacer en fixant le bout de ses chaussures, le visage dissimulé par sa capuche et ses cheveux chocolat.

Elle se saisit d'une autre petite boule faite de terre, d'argile et de graines et l'inséra dans la fissure d'un mur ébréché, puis en jeta une seconde sur un terreplein. Elle sema ainsi une dizaine de nendo dango*, dans le quartier. Ces petites bombes étaient son secret. Aussi inoffensives que merveilleuse, chacune, confectionnée par ses soins, contenait des graines qui allaient s'ouvrir grâce à la pluie et faire germer des fleurs dans tout le quartier.

Elle avait vu ça sur internet : la guérillera urbaine par les plantes. Dans quelques semaines, deux mois tout au plus, pousseraient dans le quartier coquelicots, fleurs de cosmos, soucis et œillet d'inde. Avec un peu de chance, des insectes les apprécieront autant qu'elle. Chaque bombe à base d'argile, de terre et de semences était son petit acte de terrorisme personnel : une manière de semer sa révolte. Maelle ne supportait pas la ville. Elle détestait être ici, loin de la forêt. Ce n'était pas son choix, cet énième déménagement. Elle avait simplement dû faire avec.

Sa mère avait encore décidé de tout quitter. Comme d'habitude : sur un coup de tête. Maelle avait pourtant fait l'effort de se faire des amis au collège, même si elle savait que cela n'allait pas durer. Au bout de six mois, Anissa avait décidé qu'il était temps de bouger, ordonnant à la jeune fille de remballer ses affaires dans des cartons, pas encore totalement défaits du déménagement précédent.  C'est pour cette raison que Maelle devait intégré un nouveau collège en pleine année scolaire.

Dans Paris, les gaz d'échappement la prenaient à la gorge, les sourires des passants étaient inexistants et le soleil semblait un peu voilé... Elle n'aimait rien. Surtout pas son établissement scolaire qui se dressait à présent devant elle. Elle contracta ses épaules rien qu'en apercevant le portail noir. Les élèves semblaient s'engouffrer comme de rapides fourmis dans le bâtiment. Le début des cours allait sonner.

Fallait-il vraiment rejoindre sa classe ? Maelle soupira. Et si elle trouvait un moyen de ne pas y aller ? De ne pas traverser les couloirs, seule au milieu d'une foule d'inconnus, ne pas devoir supporter de nouveaux professeurs et surtout de nouvelles questions sur son passé, de ne pas déployer tant d'efforts pour se faire des amis qu'elle finirait par quitter dans quelques semaines, voire quelques mois si sa mère avait de nouveau la bougeotte.

Elle détestait leurs déménagements trop fréquents. Penser qu'on s'habitue à changer de maison et de ville, d'école et d'amis est une erreur. À chaque fois, on perd un peu de soi. Aujourd'hui encore, elle avait peur : elle devait recommencer tout de zéro, sans savoir combien de temps ses efforts allaient durer, ni même s'ils allaient porter leurs fruits. Une boule se forma dans sa gorge. Mélange de peur et d'appréhension. Son cœur se mit à battre de plus en plus vite et sa respiration devint plus saccadée.

Soudain, elle se sentit observer. Du coin de l'œil, elle crut apercevoir une silhouette la fixer depuis le haut de l'immeuble voisin. Pourtant, lorsqu'elle tourna la tête, l'ombre fût effacée par un rayon de soleil solitaire.

Maelle ôta la capuche de son sweat pour observer la lumière se refléter sur les fenêtres de l'immeuble.  Sur le coup, elle avait cru voir une forme allongée avec de larges pattes et une queue pointue. Le soleil se retira aussi vite qu'il était apparu, ne laissant derrière lui que la pierre nue de la façade.

Maelle secoua la tête. La voilà qui avait des hallucinations ! Elle avait pris cette ombre pour un monstre couvert d'écailles. N'importe quoi....

Elle repositionna son sac à dos sur son épaule et s'engouffra dans le collège au moment où la cloche retentit.

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Note de l'autrice :

*le neno dango est le nom japonais des bombes à graines. Redécouverte par un agriculteur japonais du nom de Masanobu Fukuoka, cette ancienne technique est issue de l'Égypte antique. Ces bombes à graines ont été utilisées aux États-Unis, dans les années soixante-dix, par le mouvement new-yorkais The guerilla gardening, pour refleurir les espaces urbains. Pour en faire : mélanger 2 tiers d'argile avec 1 tiers de terreau, incorporez les graines de votre choix et un peu d'eau (pas beaucoup d'eau !) et malaxer pour en faire une petite boule. Laissez sécher 24H. Vous pouvez ensuite les disperser dans les espaces verts ou en friches. Lorsqu'il pleuvra, elles s'ouvriront et pourront germer.

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Voici Maelle (générée par IA) :

Voici Maelle (générée par IA) :

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