Katya avait filé comme une flèche chez elle. Elle avait enduit ses bras, ses jambes et son visage d'un onguent médical contre les brûlures. Il n'était pas rare que les somnias crachent du feu ou exhalent de brûlantes vapeurs. Mêlées à leur étrange magie, ses brûlures douloureuses restaient longtemps sur leurs victimes.
Alors qu'elle se parait de son uniforme de Limiteuse - une combinaison noire intégrale surmontée de jambières de cuir sombre, de coudières, elle râlait intérieurement contre le capitaine. Et même contre Marhu ! Comment pouvaient-ils être de si mauvaise foi et l'empêcher d'intervenir sous le prétexte qu'elle avait officialisé sa candidature aux épreuves de certification ?
Elle ne pouvait pas avoir passé sa vie à apprendre à combattre les monstres de cauchemar, avoir été la seule mineure à intégrer les Limiteurs (avec le soutien de Marhu pour contourner la loi officielle), défié le mépris et l'autorité du capitaine pour prouver qu'elle était à sa place, pour finalement tout envoyer balader quand un somnia menaçait le village même !
En mettant son plastron de protection, elle posa la main sur sa poitrine. La plaque bleue aux reflets dorés et rouges qui remplaçait sa peau... Cette plaque qu'elle dissimulait sous ses vêtements, cette honte qui la marquait à jamais et qui lui rappelait à chaque instant sa différence, son état d'exclue au village. Cette même plaque, qui était sûrement la source de sa capacité au combat et par là même de ses problèmes, était aussi la raison pour laquelle elle se battait. Pour que personne, plus jamais n'est à subir ce qu'elle avait vécu. Pour que personne ne perde à nouveau sa famille, comme elle avait dû perdre ses parents et sa sœur alors qu'elle n'était qu'un bébé. Cette plaque que Marhu avait aidé à créer était la seule chose qui la maintenait en vie.
Y avait-il un cœur humain dessous ? Elle l'espérait, mais ne pouvait pas le garantir. Aucun guérisseur ne le pouvait. Elle était une miraculée. Une survivante. La seule de sa famille à avoir survécu à l'attaque d'un somnia.
D'aussi loin que remontaient les chroniques du village, ce fut la seule fois qu'un somnia avait réussi à entrer dans le village sans se faire repérer par les Limiteurs de l'époque. Sans Marhu, elle serait morte. La sécurité avait été renforcée depuis et une barrière magique entourait le village, empêchant quiconque de pénétrer sans autorisation ou passe spéciale. Le Mage Rouge l'avait élevé seul et, ensemble, ils protégeaient les Limites.
S'assurer qu'une telle tragédie ne se répète pas était le rôle de Katya. Elle posa ses mains croisées sur le plastron de cuir en inspirant. Dessous, la plaque frémissait et battait comme un cœur sous ses doigts. On la traitait d'ignoble rebus, d'être contre-nature, de demi-monstre, elle le savait. Quand elle traversait la rue principale du village, elle voyait les expressions des villageois se peindre sur leurs visages : pitié, crainte, défiance, colère. Elle sentait les regards sur sa nuque, comme de fines aiguilles. Elle n'avait jamais baissé les yeux ou détourné le regard. Marhu le lui avait défendu : « Tu es unique. Tu es forte. Cette force fais en quelque chose d'extraordinaire. Fais le Bien ! » Alors elle était devenue Limiteuse.
« Faire le Bien », murmura-t-elle en serrant les poings.
Bidule qui la regardait faire depuis le lit poussa un petit « bi » d'approbation et Katya lui sourit.
« Oui, Bidule. On va y arriver ! »
Défendre était son rôle. Protéger sa raison de vivre. Elle ne laisserait ni le chef du village, ni la capitaine, ni Marhu empêcher un nouveau somnia de s'infiltrer dans son village natal.
Elle attrapa son sac de nuit et le sangla en travers de son torse. Dans son dos, le matériel de nuit y était conservé. Elle était prête. Consentant ou non, le capitaine devrait supporter sa présence. S'il le fallait, elle se cacherait à la suite de la garde, quelques pas plus loin. Elle attendit un peu pour être sûre que les Limiteurs atteignent la forêt avant de se mettre en route. Une fois dans la forêt, il leur serait plus difficile de lui demander de rentrer seule chez elle. Ils ne prendraient pas le risque de laisser quelqu'un rentrer seul alors qu'un somnia rôdait à proximité. Et ils ne se déferaient pas d'un de leurs éléments pour la raccompagner alors qu'ils avaient besoin d'un maximum d'effectifs pour la traque.
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La cité miroir
TienerfictieUne ville légendaire peut exaucer tous les vœux mais nul ne sait où elle se trouve. Maelle et Katya vont devoir faire leurs preuves pour débuter leur quête dans un monde où les peurs prennent la forme de monstres bien réels.