NUCLEA - Les Élus

2. Un nouveau départ

Une fois l'ennuyeux discours de Theodor Grant terminé, nous nous plaçons en file indienne devant l'estrade afin de récupérer tour à tour les clés de nos maisons respectives. Je sais d'ores et déjà que je logerai avec Ophélia par le simple fait que nous sommes frère et sœur. C'est l'une des nombreuses règles de Joy City : tout membre de la même famille qu'un autre partage avec lui son logement. Cela vaut encore plus dans notre cas quand l'on sait qu'Ophélia n'a que 17 ans et qu'elle n'a donc pas, par conséquent, vraiment été élue. En effet, nous ne voulions pas nous séparer et l'une des Élus avait un handicap l'empêchant de marcher : Ophélia l'a ainsi remplacée sans trop de difficultés. Néanmoins, cette anecdote remet beaucoup de choses en question, à commencer par la valeur des « vrais » Élus, et je sais qu'un grand nombre d'entre eux éprouve une certaine aversion pour ma sœur en raison de sa présence à nos côtés. Évidemment, je ne laisserai personne s'en prendre à elle mais j'ai comme l'impression que tout cela me dépasse, que je n'ai aucun contrôle dessus.

– Jeune homme, c'est à vous ! me crie une mentore chargée de donner les clés des logements.

Extirpé avec brusquerie de mes pensées, je mets un instant à comprendre ce qu'elle attend de moi. Une tape dans l'épaule de la part d'Ophélia suffit à me faire avancer vers la mentore, saisir mes clés et lui donner mon nom. Quelques secondes plus tard, je suis en dehors de la file d'attentes, les clés entre les mains. Ophélia met plus de temps à en sortir, s'obligeant à expliquer à la mentore aux clés la raison de sa présence ici à seulement dix-sept ans. Un instant après, elle me rejoint la mine maussade.

– N'était-ce pas toi qui me disait de sourire dans le vaisseau ? la taquiné-je.

– Oh, tais-toi, me lance-t-elle sans m'adresser un regard.

Je la rattrape alors qu'elle se dirige machinalement vers la sortie de l'amphithéâtre.

– Ophélia, attends-moi ! crié-je agacé.

Elle ralentit tout en me fusillant du regard.

– Ça va être comme ça pendant longtemps ? s'énerve-t-elle. Je n'ai qu'une année d'écart avec les plus jeunes Élus et on me le reproche ? Ce n'est pas ma faute s'ils intègrent les handicapés dans leur tirage au sort !

– Calme-toi. Tu sais très bien ce qui les agacent. Tu n'as pas été tirée au sort et ça leur pose problème. Est-ce que j'y peux quelque chose si tu voulais venir et qu'on en a eu l'occasion ? Ce qui est fait est fait, et tu ne peux nier que tu es heureuse d'être ici.

– Évidemment que je suis heureuse ! Je suis avec toi et à la surface, comme j'en ai toujours rêvé ! Mais on est ici depuis à peine une heure et je suis déjà mise à l'écart !

Je soupire. Elle n'a pas tort du tout : la majorité des Élus évite de lui adresser la parole et la toise du regard en permanence.

– Écoute, dis-je, on va essayer de partir sur de bonnes bases. Tu vas vivre ta vie sans te préoccuper de ce que pensent les autres à propos de toi. Qu'est-ce que cela peut te faire s'ils sont jaloux ? Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, souviens-en toi.

Ophélia esquisse un sourire qui me fait savoir que je l'ai rassurée. Et ça me rassure aussi.

Nous marchons depuis déjà plusieurs minutes dans les rues droites et propres de la ville et débouchons bientôt sur un rond-point.

– C'est à gauche, informé-je Ophélia.

En réalité, je ne fais que suivre à la lettre les instructions d'un plan que la mentore aux clés a donné à ma sœur et sur lequel est indiqué l'emplacement exact de notre habitation.

Nous bifurquons dans une plus petite rue que la précédente, passons devant trois maisons et arrivons enfin devant la nôtre.

C'est un bloc de béton blanc sur lequel sont posées une fenêtre au rez-de-chaussée et deux à l'étage. Le bâtiment est semblable à tous les autres de Joy City mais paraît visiblement différent aux yeux d'Ophélia qui, scotchée, le dévisage la bouche entrouverte.