Un si joli chaperon rouge

Chapitre 4

Les loups

Damon

Me battre est mon quotidien. Je ne connais que ça. La violence, la colère, les coups. Mes parents ne m'ont pas élevé, ils ont confié cette tâche aux formateurs. Dès l'âge de quatre ans, j'ai été placé dans une école aux murs froids et tristes, où la joie est absente, où l'on apprend seulement à frapper mieux que les autres. Pour survivre à ça, mieux vaut être le meilleur. Ce que je suis devenu...

Il paraît que c'est un privilège pour des parents, un honneur même, de voir son petit rejeton évoluer au sein de ce Centre et de constater qu'il deviendra, sans l'ombre d'une hésitation, un loup. Le but ultime, la consécration : faire partie de l'élite, devenir un tueur de sorcière.

Je m'appelle Damon et je suis devenu un monstre qui chasse d'autres monstres. C'est assez ironique quand on y pense. Pourtant, à force d'entendre que les loups sont la fierté de la ville, qu'il n'existe pas de position plus enviée et désirable dans la société, j'ai fini par le croire. Je suis un héros pour toutes ces filles qui n'attendent qu'une seule chose de moi, pour mes parents qui me considèrent comme la première merveille du monde désormais alors qu'ils n'ont jamais été foutus de me donner un minimum d'affection, pour les autres élèves de l'école qui n'aspirent qu'à me ressembler mais qui sont encore si jeunes...

La cérémonie de recrutement a eu lieu la veille. Nous sommes quatre à avoir été sélectionnés. Les autres ont gentiment été remerciés. Toute une enfance sacrifiée pour rien. Retour à la vie normale. C'est peut-être eux les plus heureux, qui sait ? Peter, Vadim, Logan et moi. Demain nous irons grossir les rangs des loups déjà postés. Fin du game. C'était le but à atteindre, c'est fait. Et après ? Après, encore de la violence, des nuits hivernales sans fin, du sang, des poursuites, des meurtres. Voilà la vie qui nous attend. Un éternel recommencement. Je suis encore jeune et déjà lassé. Mais ça, évidemment, personne ne le sait. On ne parle pas de ses états d'âme quand on est un homme comme moi. On encaisse, on se montre fier et on se tait. C'est aussi simple que ça. Je suis un loup. Le reste n'existe pas. N'existe plus. Tout a été mis en œuvre pour nous priver d'humanité, je n'ai donc plus à ressentir, seulement à agir. Nombreux sont ceux qui perdent leur âme durant la formation, ils deviennent des machines à tuer, des monstres sanguinaires. Je les envie. J'aurais préféré perdre la mienne et ne plus avoir à réfléchir. La forêt saura peut-être me la voler définitivement.

En attendant, il me reste une nuit à passer en ville, une nuit à profiter de mon statut de héros maudit, protecteur de la cité. Peter préfère aller se coucher même si nous avons quartier libre, il n'a jamais été très fêtard, c'est le sérieux de la bande. En revanche, Vadim et Logan sont dans le même état d'esprit que moi. Pour eux, hors de question de ne pas profiter de cette nuit de liberté après tous les efforts et tous les sacrifices réalisés pour en arriver là. Nous ne portons pas encore de traqueurs. Ils seront implantés demain matin. Ensuite, nous ne serons plus jamais libres.

Je quitte le dortoir de l'aile ouest du centre, c'est la dernière fois que j'y mets les pieds. Mon sac n'est pas bien lourd : un bouquin, des gants de boxe que je refuse de laisser derrière moi, ma lampe de poche, un débardeur noir, des lunettes de soleil, une chevalière en argent. Je n'ai rien d'autre. Le Centre fournit à ses loups le nécessaire pour la suite. Une fois que nous sommes nommés à ce poste, nous avons l'autorisation de quitter le Centre. Un logement entièrement meublé et luxueux nous est offert. Un véhicule aussi. Vêtements, nourriture, divertissements, nous ne manquons de rien, tout est prévu. Même l'impossibilité pour nous de renoncer à tout ça et de nous faire la malle. Le Centre nous impose de porter un traqueur. Une espèce de puce électronique qu'on nous implante dans la nuque, si j'ai bien compris. Explication des dirigeants de tout ce merdier ? Nous protéger en pouvant nous localiser rapidement dans la forêt en cas de danger. Quelle connerie. Personne n'y croit mais tout le monde se tait. Les autres sont tellement fiers d'être recrutés qu'ils ne se rendent même pas compte que nous sommes pieds et poings liés, que nous appartenons au Centre et uniquement au Centre. L'argent, les filles, le luxe, tout ça ne nous rendra jamais notre liberté.