Un si joli chaperon rouge

Chapitre 6

La Forêt d'Estampe

Le plan est simple : traverser la forêt, éviter les loups ou les tuer, atteindre la mine la plus proche, prendre une malachite et faire demi-tour. Sauver ma grand-mère. Sur le papier, c'est facile. Sur le terrain, je crains que ça devienne plus compliqué. Je crois que tout le village partage mes craintes d'ailleurs. A voir les visages graves et tristes qui se tournent vers moi, j'ai l'impression d'être déjà condamnée. Je m'empresse d'atteindre notre chaumière pour ne plus subir toutes ces marques de sollicitude et me retrouver enfin à l'abri des regards.

Ma grand-mère est allongée, la couverture la recouvre à peine et son souffle est apaisé. Je ne pouvais pas quitter le village sans aller la voir. J'ai besoin de lui parler, de l'écouter, de lui voler, égoïstement, le peu d'énergie qui lui reste pour m'en nourrir et ne plus avoir peur. J'ai besoin d'elle tout simplement, besoin qu'elle vive. C'est ma plus grande force, mon meilleur atout dans ce qui m'attend : l'amour que j'ai pour elle. L'envie d'une vengeance pour mon père vient juste après. Que les loups se rassurent, la peur de mourir seule dans cette forêt ne me retiendra pas.

Je grimpe au bord du lit et je la contemple. Son visage est doux, comme toujours, sa simple présence suffit à m'apaiser. Je pose ma main sur les siennes qui sont croisées sur son ventre. Le temps s'arrête, plus rien ne compte. Je m'enferme dans cette bulle de douceur et d'innocence, je me laisse aller à raviver les souvenirs heureux, luttant contre ceux, plus sombres, qui veulent s'imposer. Je revois ma grand-mère, plus jeune, sourire à pleines dents, ébahie de me voir flotter au-dessus du champ d'herbes alors que je ne suis encore qu'une toute petite fille. Elle rit, tape dans ses mains en m'encourageant. Je retombe sans trop comprendre pourquoi et je ris aussi. Elle me parle, me tend la main. Dans ses yeux je lis tant de fierté que mon cœur se gonfle de joie. J'essaie encore de m'envoler mais je n'y arrive pas. Je suis déçue et frustrée mais elle m'explique que c'est normal, que je suis encore trop jeune pour maîtriser tout ceci, que c'est déjà un exploit d'avoir réussi une telle chose. Je la crois. Comme toujours. Je n'ai vu aucune autre sorcière faire ça avant alors je hoche la tête et je chasse ma déception. Nous nous promenons toutes les deux dans les petites ruelles pavées, le soleil nous accompagne, la nature murmure ses éternelles chansons douces. Même si mon père n'est plus là depuis quelques mois déjà, je trouve du réconfort auprès d'elle, à chaque fois. Je la soupçonne d'utiliser sa magie pour calmer mon cœur lorsqu'elle est à mes côtés mais je ne lui en veux pas, bien au contraire. Ces moments avec elle me permettent d'oublier le chagrin de ma mère et ma propre douleur. Tout est plus facile quand elle me tient la main.

— Tu ne devrais pas tant penser ma petite. Tu troubles mon sommeil.

— Je ne voulais pas te réveiller, je réponds en souriant tandis que ma grand-mère se redresse doucement.

— Je ne dormais pas vraiment, je t'attendais. Ton souvenir était agréable. Je n'ai jamais oublié ce jour moi non plus, il restera toujours gravé en moi ma chérie. Merci pour ce beau moment.

Je ne suis même plus étonnée par ses dons. Je ne sais pas comment elle fait mais il est évident qu'elle s'invite dans mon esprit aussi facilement qu'on passerait une porte. Cela ne m'a jamais dérangée, je ne lui cache rien.

— Je suis venue te dire au revoir grand-mère, je pars ce soir. Marta pense que la nuit me protégera des loups, qu'elle dissimulera ma présence plus longtemps.

Lisa acquiesce doucement, son regard est moins vif, je lis une certaine tristesse dans ses yeux et ça me fait mal.

— Je reviendrai avec la malachite, je m'empresse d'ajouter pour apaiser ses craintes. Je ne te laisserai jamais, tu le sais, n'est-ce pas ?