Chapitre 7

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— Je ne vous raconterai pas en détail les sévices qu'il m'a infligés cette nuit-là ni les suivantes. Je pense que vous le devinez, mon état ne laisse planer aucun doute.

Elle caressa son ventre avec tendresse.

Les deux hommes tentaient de dissimuler leur embarras en évitant son regard. Leurs yeux se posèrent sur l'alliance qu'elle portait à l'annulaire gauche depuis ce jour funeste. Elle la détestait, mais Mitch lui avait interdit de l'ôter.

— Je vais me renseigner sur ce magistrat qui vous a mariés de manière irrégulière, déclara le commissaire, pour rompre le silence qui s'était une nouvelle fois installé.

— Avez-vous revu les hommes qui étaient présents à cette... cérémonie ? la questionna Éric.

— Bien sûr, quasi quotidiennement, répondit Alice d'un air tranquille.

— Vous vous souvenez de leurs noms ? insista Collimont.

Elle haussa les épaules.

— De leurs surnoms, oui.

Elle tendit la main pour que le détective lui donne son stylo et son carnet. Elle lista tous les sobriquets qu'elle connaissait.

— Vous ont-ils... fait du mal ? l'interrogea le moustachu.

— Non. Après le mariage, ils m'ont traitée avec respect ou indifférence. Si l'un d'eux avait le malheur de me parler ou de poser les yeux sur moi un peu trop longtemps, Mitch entrait dans une colère noire et s'en prenait à lui violemment.

Alice se perdit dans ses pensées, puis poursuivit son récit.

***

Malgré mon attitude docile, Mitch avait remarqué que je regardais souvent la porte d'entrée. Il a dû avoir peur que je cherche à m'enfuir, car dès le lendemain du mariage, il m'a entravée avec une chaîne attachée à ma cheville et fixée au mur. Je pouvais me déplacer dans toute la cuisine, mais pas au-delà.

Il m'avait fourni des livres de recettes, ainsi que des encyclopédies de toutes sortes. Comment tenir une maison, être une bonne épouse... La plupart dataient des années 50. Les ouvrages les plus récents étaient ceux qui concernaient la grossesse et l'accouchement. Je savais que, tôt ou tard, je tomberais enceinte, mais j'espérais toujours qu'on me trouverait avant.

Mon mari me forçait à porter ces horribles nuisettes qui ne recouvraient guère mes formes. Je me sentais très mal à l'aise quand ses hommes venaient lui rendre visite. Ils s'installaient parfois autour de la table pour discuter de leurs projets, et je devais les servir, comme la bonne maîtresse de maison que j'étais censée être. Certains posaient les yeux sur ma poitrine ou sur d'autres parties de mon anatomie, et je craignais qu'ils n'abusent de moi, eux aussi, mais Mitch a très vite mis les points sur les i. Ils ont fini par m'ignorer, ce qui me convenait parfaitement, même si je n'étais pas plus à l'aise.

Un jour, leur conversation est devenue houleuse. Ils n'étaient pas d'accord sur un casse qu'ils envisageaient de faire. Étant donné qu'ils n'avaient pas besoin de moi, je m'étais assise à même le sol, dans un coin de la pièce, et je feuilletais l'un de mes livres. La porte d'entrée était restée ouverte. Pourquoi auraient-ils pris la peine de la fermer, puisque j'étais attachée comme un vulgaire animal ? Mais je n'étais pas beaucoup couverte et j'ai commencé à grelotter. Tout à coup, un homme, celui qui n'avait cessé de me jeter des coups d'œil au mariage, s'est levé et s'est approché de moi. Il était grand et musclé. Ses cheveux bruns étaient coupés court et il portait parfois la barbe. Cela dépendait des jours. Je supposais qu'il avait la quarantaine bien tassée. J'avais eu l'occasion de l'observer à plusieurs reprises, moi aussi, et j'avais remarqué qu'il ne perdait jamais son sang-froid. Et, lorsqu'il posait les yeux sur moi, ses prunelles reflétaient une profonde tendresse. Sans un mot, il a étalé sa veste sur mes épaules. Une douce chaleur m'a aussitôt envahie. Mitch est devenu tout rouge et j'ai paniqué. La dernière fois qu'il avait réagi de la sorte, il avait tué quelqu'un et je ne voulais pas mourir, ni que l'homme qui s'était montré si gentil à mon égard soit exécuté à cause de moi. Il a ordonné à tous les autres de sortir. Sa voix était calme, mais néanmoins autoritaire.

— Qui t'a permis de t'occuper de ma femme ? a-t-il rugi.

— Elle avait froid.

— Je vous ai interdit de poser les yeux sur elle.

— Dans ce cas, arrête de la traiter comme un chien et prends soin d'elle ! a répliqué son ami sur le même ton.

— Tu vas trop loin, Bobby ! Je suis obligé de te punir, pour montrer l'exemple.

Le dénommé Bobby a relevé le menton et l'a toisé. Il le dépassait d'une demi-tête et ne semblait pas impressionné outre mesure.

— Eh bien, vas-y ! Qu'est-ce que tu attends ?

Mitch l'a frappé plusieurs fois au visage, mais il n'a pas bronché. Dans mon coin, je tremblais comme une feuille et je fermais les yeux, terrorisée à l'idée qu'il me réserve le même sort un peu plus tard. Quand il a eu fini, Bobby lui a simplement dit :

— Tu devrais lui acheter des vêtements décents.

Il se dirigeait vers la porte quand Mitch l'a interpelé.

— T'as oublié ta veste.

Je me suis empressée de la retirer et je la lui ai tendue. Quand il est arrivé près de moi, il m'a adressé un clin d'œil. J'étais décontenancée. Il venait de se prendre une raclée et cela ne semblait lui faire ni chaud ni froid. Puis il a quitté la maison.

Quand nous nous sommes retrouvés seuls, Mitch s'est tourné vers moi. Je me suis recroquevillée, certaine qu'il allait me battre. Contre toute attente, il a déclaré :

— J'ai faim.

Et, pendant que je m'attelais à la préparation du repas, il est sorti à son tour. Lorsqu'il est revenu, une heure plus tard, il m'a balancé un tas de vêtements à la figure.

— Désormais, tu porteras ça, la journée, a-t-il décrété.

— Merci.

Mais dans mon cœur, c'était mon protecteur que je remerciais. 

Une vie à réparer [Publié le 8 mars 2024]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant