Ma tête me fait affreusement souffrir, c'est un miracle si je n'ai pas fait de malaise dans le métro. J'étais tellement déconcentrée par la douleur que j'ai percuté une fille, elle
avait l'air tellement pressée !Je monte à la surface et franchis les derniers mètres qui me séparent de l'hôpital, du côté des urgences. La douleur me fend 1'arrière de la tête.
Je n'ai jamais ressenti ça, mes deux autres visites de cette semaine étaient certes pour la même douleur, mais elle était auparavant beaucoup plus supportable.
"Ce n'est rien, madame", avaient-ils dit les fois précédentes, en détachant bien chaque syllabe.
C'est sûr qu'une douleur récurrente à la tête ne mérite qu'une boite de dolipranes, pas le moindre examen, et en prime, un discours condescendant sur le don qu'ont les gens
à encombrer les urgences. Mais cette fois-ci, je suis bien décidée à faire entendre raison aux médecins et à recevoir les soins qui me sont dus. J'entre, m'enregistre, et patiente.Une heure plus tard, c'est enfin mon tour. J'entre dans la pièce sous le regard méprisant d'un homme d'âge mûr qui
fait la grimace lorsqu'il me voit. Il ne répond pas à ma salutation et me demande sèchement mon souci, que je lui
indique."Enlevez-moi ce truc".
Un peu plus d'amabilité ne lui ferais pas de mal. Je m'exécute, ses doigts effleurent légèrement mes cheveux, puis c'est fini. Il me prescrit des dolipranes et s'apprête à
ouvrir la porte pour m'expédier à la vitesse de la lumière, mais je ne sors pas.Je lui explique que cette prescription a
déjà été faite et qu'elle a été sans effets, et qu'il devrait me faire faire des examens, ou du moins faire semblant de s'intéresser à moi.Le médecin s'énerve. Il refuse sans même
m'expliquer pourquoi et m'ordonne de sortir, toujours de cet air méprisant que je ne connais que trop bien.Au bord des larmes, j'interpelle un jeune infirmier dans le couloir. Je lui expose la situation et lui demande s'il est possible de voir un autre médecin car celui-ci refuse de
m'écouter. Peiné par la situation, il dit qu'il va voir ce qu'il peut faire et me demande d'attendre.Si cela ne tenait qu'à moi, je serais partie. Je n'aurais même pas daigné mettre de nouveau les pieds dans cet hôpital. Seulement je n'ai pas eu le choix, je ne peux me déplacer qu'en transports et je souffrais trop pour aller plus loin.
En tout cas maintenant que je suis là, il n'est pas question que je m'en aille sans avoir été soignée.
Je suis tirée de mes pensées par un soudain tumulte dans le couloir.
"Toujours les mêmes, celles-là ! Les arabes et les africaines, on les connaît. Toujours à exagérer !"C'est ce médecin... Pourquoi ses paroles ne me surprennent pas ?
Si on m'avait dit que même l'hôpital était à choisir avec soin ! Me voilà dans une situation trop grosse pour être vrai, le genre d'histoire qui n'arrive qu'aux autres.
J'ai dû choisir mes écoles en fonction des physiques qu'elles acceptaient ou non. Il a ensuite fallu faire de même pour le travail. Plus tard, j'ai dû trouver pour mes enfants
une école qui ne m'excluait pas de leurs activités. Je sélectionne soigneusement les quartiers que je fréquente et quand je pars en vacances, j'évite encore et toujours les
mêmes plages et restaurants.C'est donc avec amertume qu'après les études supérieures, le travail, l'école de mes
enfants, la plage, ainsi que des zones entières de mon pays, j'ajoute l'hôpital à la liste des endroits où je ne suis pas sûre
d'être traitée avec tout le respect qui m'est dû.Quelle hypocrisie de la part de mon propre peuple. Voici donc l'art de vivre classique d'une française qui a le malheur de s'appeler Aïcha.
La douleur et 1'angoisse s'alliant contre moi et ne sachant plus quoi faire, je téléphone à mon mari. Une demi-heure plus tard, il apparait dans la salle d'attente, essoufflé et
visiblement sur les nerfs. Et miraculeusement, tout devient facile.Je comprends maintenant qu'il y a une différence entre droit et possibilité. J'ai un droit, mais on me refuse refuse la possibilité de l'exercer. Pourquoi ? Il faut le leur demander. Ils n'ont de respect seulement pour ce qu'ils considèrent comme appartenir à l'homme. Et pour preuve, je n'étais pas digne d'intérêt seule, mais maintenant que mon "représentant" est ici, tout s'arrange !
Comme s'il avait lui-même été victime de
l'outrage, c'est à lui que le docteur s'excuse platement
Négligée parce que je suis une femme, tout s'arrange quand le mari est là. Quand le père est la. Quand le frère est là. Ils font des bruits d'animaux sur notre passage lorsque
nous sommes seules, mais ils baissent respectueusement les yeux quand nous sommes accompagnées. Ce n'est pas moi
qu'ils respectent, mais l'homme qui m'accompagne. Je ne mérite rien, vulgaire
babiole aussi alléchante qu'encombrante.Mais même si cette réalité donne la nausée, elle me permet aujourd"hui d'être soignée.
C'est avec dégout que je retourne dans ce couloir, cette fois-ci sous bonne escorte et loin de l'animal qui m'a accueillie.Le jeune infirmier lui s'en va, il me salue
chaleureusement sur son chemin.
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J'existe autrement qu'à travers leur regard
Short StoryUne journée banale de fin d'été à Paris, à travers cinq femmes qui ont toutes pour point commun de porter le voile en France. Une façon de voir la réalité et l'actualité sous une autre perspective qui est la leur, elles qui sont au cœurs des débats...