2: Il y a 20 ans de cela au Rwanda...

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Du jour au lendemain, les Hutus ont fait l'appel à la haine dans une station radio, la Radio Télévision libre des Milles Collines dans tout le pays que les Tutsis rebelles ont assassiné le président Hutu, Juvénal Habyarimana d'un accident d'avion. Ma famille et moi, nous étions tous au salon quand nous avions entendu cette mauvaise nouvelle.

 — Allons-nous mourir ? ai-je demandé en larmes.

— Hissa Mukasonga, ne dis pas de bêtise! répliquait ma mère qui me serrait dans ses bras. Non, nous n'allons pas mourir, tu m'entends ?

J'ai hoché la tête.

— Alors, sèche tes larmes.

J'ai obéi. Cependant, mon père et mon frère se regardaient sans rien dire. J'ai vite compris que rien de bon vaille nous étions en danger, mais si ma mère disait le contraire. Le soir même, nous avions tout quitté derrière soi en prenant le strict nécessaire, nous avions rapidement pris fuite, pendant que certains voisins pouvaient dormir les yeux fermés, de notre ville Gitarama afin de traverser la frontière vers Kabgayi. Nous rentrions tous les quatre dans la camionnette. Ma mère, mon frère et moi, nous étions dans le passager arrière.

— Cachez-vous sous les couvertures et ne bougez plus, nous ordonnait mon père.

Nous avions tous les trois obéi. Il a commencé à démarrer la voiture et il a conduit toute la nuit. Nous avons pu traverser la frontière. On savait que nos voisins Hutus, mais s'ils étaient nos amis, ils allaient finir par nous trahis à leurs yeux, nous sommes des inyenzi; des cafards, une insulte pour nous les Tutsis. Cette nuit-là, des nombreuses familles Tutsies, des gens que nous connaissions la plupart ont été tués par les Interahamwe qui signifie en kinyarwanda: «ceux qui combattent ensemble». Ils constituaient la plus importante des milices rwandaises origine Hutu.

Un mois s'est écoulé, depuis le grand massacre, mais il se poursuit encore... Nous étions le 6 mai 1994, je venais d'avoir 9 ans, malheureusement, c'était loin d'être un jour de fête nous étions réfugié dans la cathédrale Notre-Dame-de-l'Immaculée-Conception. Le jour de notre fuite, mon père a appelé sa sœur et sa famille qui vit en France pour nous venir en aide et pour quitter le pays. Depuis, nous attendons toujours l'appel de ma tante. Nos parents ne voulaient pas nous inquiéter, mais Kwesi et moi, nous savions qu'il y a quelques semaines la ligne a été coupée. Les autres réfugiés n'ont pas été discrets, pendant que les enfants dormaient, ils discutaient à propos des Hutus qui tuent des Tutsis, mais réellement certains d'entre nous faisaient semblant de dormir et nous avions écouté avec grande attention.  Tout bien réfléchi, nous étions encore des enfants pour passer le temps et oublier tout le mal qui se passait au dehors de notre refuge, nous jouions au foot. J'ai fait un but pour mon équipe. J'étais nulle dans ce jeu, mais à force d'y jouer, j'ai fini par être meilleure. Nous criions victoire. Quand sans crier gare un garçon se met à crier que les Hutus arrivaient avec leurs machettes...

Tous les enfants se précipitaient à l'église afin de prévenir  les parents. Tous les réfugiés Tutsis tentaient de se sauver pourtant ils étaient trop tard pour fuir, car ils étaient déjà là. Nous étions entourés par eux. Ça s'est passé trop rapidement, ç'a été un bain de sang. Il y avait tant de sang c'était la première fois que j'en voyais autant. Un vrai cauchemar, un cauchemar qu'on voudrait vite se réveiller et se dire que ce n'était qu'un rêve, mais malheureusement tout était réel. Nous étions agenouillés, nous les survivants de l'extermination et nous attendions notre sentence. Et nous avions tous terriblement peur de mourir.

— Toi, vermine! Viens avec moi, m'ordonnait le chef des miliciens.

Je secouais la tête.

— Que faites-vous ? Ne touchez pas à ma fille! Elle n'a rien à voir là-dedans!

Il ne se préoccupe pas ce que mon père sollicite.

— Viens, je te dis !

— Écoutez.., conjurait mon père, mais il n'a pas pu terminer sa phrase, car le monstre lui frappait au plein visage.

Les survivants échappaient tous un cri de frayeur.

— FERME TA GUEULE SALE TRAÎTE! hurle le milicien. COMMENT PEUX-TU TRAHIT LES SIENNES AVEC SES VAURIENS ?

Mon père ne dit pas un mot. Le chef m'a agrippé à ma taille.

— Maman! Papa! m'écriais-je tenant fermement les mains de ma mère. Pitié aide-moi!

Ils m'arrachaient d'elle.

— Prenez-moi, mais pas ma fille, je vous en supplie ce n'est qu'une enfant.

Ils n'ont pas écouté, pourquoi écouteraient-ils une Tutsi ? Sous les yeux de ma famille et de tous ses gens, j'ai perdu mon innocence...

— Tu es jolie pour une Inyenzi de Tutsi.

J'avais honte. Une honte ancrée dans mon âme à tout jamais. On avait enlevé ma dignité que je me suis mise à pleurer tellement, je me sentais sale, je ne voulais pas pleurer, mais quand la peur vous guette il ne peut se contrôler. Kwesi a vomi par le choc et à la cruauté de la vie. Mon père était si abattu, je voyais qu'il se sentait coupable de m'avoir pas pu me protéger. C'était la pire humiliation de toute ma vie. Les Hutus tuent les Tutsis par des coups de machette. Il ne restait que ma famille. Et nous attendions tous notre fin. Toutefois, ils n'avaient pas encore fini avec nous... Ils nous dictaient de sortir de l'église. Nous étions sortir.

— Mettez-vous à genoux! Pas toi, reste debout, commande le Chef milicien à mon père. 

Le bourreau donne un fusil à mon père.

- Tu vas tirer à la tête toute ta famille. 

Mon père lui jette un regard choqué.

- Oh mon Dieu! articule ma mère.

- Comment pouvez-vous être aussi cruel ?

- Nous vivons dans un monde où le mal est très présent parmi nous. Je suis un homme cruel, je n'ai pas honte de le dire. Mon objectif est que tu souffres, car tout ça sera de ta faute. Que tous les jours, les fantômes du passé te hantent et que tu sois le dernier survivant.

- Je ne pourrais jamais faire une telle chose!

- Tu le ferras pour ta famille donne leur dignité. Sinon, c'est moi qui les tuerais! 

Un horrible dilemme déchirait l'esprit de mon père. Il y avait deux choix, l'un ou l'autre venait à la même conclusion. Si mon père nous tuait aussi abominable soit-il j'approuverais son choix. Et il a pris sa décision.

- Pardonnez-moi, dit mon père. Je vous aime...

J'ai fermé les yeux en tremblant comme une feuille. J'entends un coup de feu, j'ouvre les yeux en demandant qui a été tiré en premier. Mon père a tué le chef milicien hutu. Mon frère m'aidait rapidement à me lever.

- COURS, COURS HISSA, s'écrit Kwesi. COURS!

Un coup de machette a tué Kwesi.

- COURS, MA FILLE! criait ma mère. NE T'ARRÊTE PAS!

J'ai couru à toutes jambes, sans m'arrêter, j'ai couru le plus vite que j'ai pu, car ma vie en dépendait. Je n'ai pas regardé derrière moi puisque si je regarde, je risquais de me faire tuer aussi. Alors, j'ai couru jusqu'au moment je n'aurais plus d'air dans mes poumons et que mon cœur s'arrêtera de battre. Et les derniers mots que j'ai entendus d'un de ses monstres ont été: «ESPÈCE D'INYEZI! COURS, SALE VERMINE, COURS! TU NE VIVRAS PAS TRÈS LONGTEMPS QUAND JE VAIS T'ÉCRASER! »

J'ai réussi à m'enfuir laissant derrière moi mon père, ma mère et mon grand frère la seule famille qui me restait. Et je suis morte ce jour-là...

INYENZI (en pause )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant