Pendant le trajet, Gabriel essaye de me donner des indications sur les couloirs afin que je puisse me repérer et retrouver les différents labos. Le réfectoire est immense, il y a énormément de monde qui travaille ici. Chaque personne est testée avant de rentrer dans le réfectoire. Ce n'est pas notre cas, les gens semblent le connaître ici et personne ne l'arrête. Il me présente un immense buffet et m'invite à manger.
"Tu peux prendre ce que tu veux ici !
- Absolument tout ?
- Oui !"
Il y a de nombreux légumes, cuisinés de toute sorte, je ne savais même pas qu'il en existait une telle quantité. Je demande à être servie généreusement, je n'ai jamais eu aussi faim de ma vie. Je ne sais pas depuis combien de temps je n'ai pas mangé, mais je n'avais jamais mangé autant.
"Tu as tout le temps un appétit comme ça ?
- Seulement quand je suis morte !"
Il rigole, il a quelque chose de toujours joyeux, j'arrive à baisser ma garde et à vivre simplement avec lui, j'en viens presque à oublier que je suis morte. Je me demande s'il y a un terme qui me définit.
"Ton compagnon ne doit pas être ravi de te faire à manger !
- Je n'ai pas de compagnon, je me suffis à moi-même, et cela me va très bien !
- C'est dommage de vivre seul.
- Finalement, je ne suis pas seule, je vis avec Caelum.
- Il a de la chance, dit-il en me faisant un clin d'œil
- Je ne suis pas sûre qu'il ait gagné au change, de plus, je ne fais pas le bonheur d'Ariane.
- Ils se sont disputés ?
- Elle pensait dormir avec lui et il lui a annoncé que c'était moi qui restais, sincèrement, je voulais juste dormir. J'ai réussi à stopper leur dispute.
- Comment ?
- En vomissant !"
Il me regarde et fait une grimace.
"Ne t'inquiète pas, ils vont se réconcilier !
- Cela m'importe peu... Ce qu'il se passe entre eux deux ne me concernent pas ! Dès que je peux, je prends un appartement seule et je vivrais seule ! Je n'aurais de problème avec personnes !
- Ce n'est pas toujours sympa d'être seul !
- Tu vis seul ?
- Aujourd'hui, oui, certains soirs, je préférerais passer ma soirée avec quelqu'un, je pense que je vais finir par me parler à moi-même.
- Je pense que je pourrais apprécier d'être seule, dans le calme, ça va me faire du bien.
- Et puis si un jour, tu sens que cela ne va pas, tu pourras toujours venir me voir, ma porte te sera toujours ouverte.
- C'est gentil, j'y penserai si un soir cela ne va pas."
Gabriel a un air doux et bienveillant, cela me fait du bien de parler avec quelqu'un de jeune et qui m'écoute sans me juger. Nous continuons de discuter durant le repas, je me retrouve à rire, ce que je n'ai pas fait depuis plusieurs semaines. J'ai l'impression de pouvoir relâcher la tension qui a été mise sur mes épaules depuis des années. Même si je ne sais pas ce que je suis, même si je ne sais pas vraiment si je suis vivante ou morte, j'arrive à me sentir libérer du poids de la maladie. Je ne sais pas si je vais survivre encore longtemps à la maladie, peut-être que mon corps s'est mis en dormance et que je vais subitement mourir d'un coup, à un moment, sans savoir finalement ce qu'il s'est passé. Pour le moment je n'ai plus rien à craindre, Gabriel me fait même oublier que si je suis là, c'est parce que justement, quelque chose est anormal dans mon corps. Notre repas se finit et nous passons encore quelques minutes à discuter.
"Tu as pu te promener dehors ?
- Pas vraiment, ou du moins il y a longtemps, bien avant que nous ne soyons confinés.
- Tu n'as jamais pu le refaire ?
- Non, ma mère était contre, finalement, la seule fois où j'ai pu sortir, j'ai réussi à me faire contaminer.
- Tu n'as jamais marché dans la neige ?"La neige, c'est un peu utopiste, ce vaste manteau blanc qui recouvrait notre sable roux durant quelques jours. Je me souviens de voir ce spectacle tous les ans avec des yeux d'enfants ébahis, il m'était interdit d'ouvrir la fenêtre à cette époque-là. La neige incitait les gens à sortir, et finalement, les contaminations augmentait au cours de cette période. Je n'avais jamais senti la neige entre mes doigts... Je sais que ma mère m'a protégée toutes ces années, mais je regrettais certaines fois de ne pas avoir pu vivre la vie de mes ancêtres. Cette vie où la neige restait des mois durant, où elle jonchait le sommet des montagnes et où les gens partaient en vacances pour en profiter. Gabriel est plus âgé que moi, d'une dizaine d'année peut-être, il a vécu une partie de sa vie dehors, si la neige ne devait déjà pas être très présente, il a pu vivre des choses que je ne vivrais jamais.
"Je ne suis jamais sorti quand il neigeait non !
- Il faudra que l'on remédie à tout ça alors !
- Tu ne vas pas sortir ?
- Si je le fais régulièrement, je sais les précautions que je peux prendre et je sais où je peux aller sans prendre de risque, je t'y emmènerai, les neiges vont bientôt arriver.
- Ce sera avec plaisir !"
Gabriel me regarde en souriant, il prend mes affaires et débarrasse notre table, je n'ose pas bouger, j'attends en regardant toutes les personnes autour de moi. Je ne pensais pas un jour être entourée par autant de personnes. Il revient vers moi et me tend sa main, je le regarde quelques secondes sans savoir ce qu'il attend de moi, puis je me rappelle de mon père et de ma mère. Il lui arrivait de tendre sa main pour aider ma mère à se relever, il la faisait aussi valser dans la maison. Cette image me replonge alors chez moi, au milieu du salon de mes parents, je vois mes parents rire en tentant de danser quelque chose. Je me perds alors dans mes pensées. Je ne pensais plus vraiment à eux depuis que je suis ici, du moins pas autant, je ne sais pas dans quel état est ma mère, elle pense que je suis morte...
"Tout va bien ?"
Je relève la tête, la main de Gabriel est toujours tendue, il me regarde et je ne bouge pas, je la prends alors.
"Oui, tout va bien, je m'étais perdue dans mes pensées !"
Je ne comprends pas ce qu'il se passe, c'est mon quotidien depuis quelques jours. Est-ce que j'accepte des avances, est-ce que je m'engage à rentrer dans une relation amoureuse ? Peut-être que Gabriel ne fait qu'être gentil, je ne saurais distinguer quelqu'un qui me drague de quelqu'un qui m'apprécie. Je n'ai jamais ressenti quelque chose pour quelqu'un, est-ce que cela commence aujourd'hui ?
Il lâche ma main et me fait signe d'avancer, je lui souris et je commence à avancer pour retourner dans ces longs couloirs interminables.
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Souffle d'espoir
Science FictionL'Homme mettrait fin la vie de l'humanité, tout le monde le savait, personne n'en doutait. Alors que l'Homme a colonisé la terre, détruit les champs, asséché les cours d'eau, pollué les terres, personne n'imaginait que ce serait une pandémie qui déc...