Les gens continuaient d'aller et venir près du banc, traversant les différents chemins du cimetière. Derrière moi, une femme âgée et un quarantenaire se remémorent lesaventures d'un certain Allain. Ils rient lorsqu'ils évoquent la fois où ledéfunt s'est introduit au salon de l'agriculture en prétendant posséder desvaches dans le seul but de bénéficier d'avantages gratuits. A ma gauche, unefemme raconte à sa fille, la voix tremblante, comment sa grand-mère avait fuil'Autriche un funeste soir de 1941.
Devant moi, un frère et une sœur parle desatrocités que leur père a fait pendant leur enfance. L'homme, à peine plus âgéque moi semble prêt à lui pardonner, maintenant qu'il est mort. C'est inutile,il fallait le faire de son vivant, aujourd'hui ça ne rime à rien. Lesaprès-vies ont une place très spécial pour les connards dans le genre de leurgéniteur.
Personne ne va me laisser tranquille aujourd'hui ? Même dans ce lieu sinistre, il est impossible de se retrouver seule avec notre rage intérieur. Inadmissible. N'y a-t-il pas de meilleure sortie à faire en famille dans ce si bas monde ?
Grand-mère n'aurait jamais emmené ses petits enfants ici. Elle a toujours trouvé ça hypocrite, les cimetières. Je dois avouer qu'elle avait raison, une fois de plus. Je les ai vus moi aussi, après sa mort, tous ceux qui l'ont ignorée pendant des siècles.
Ils étaient là, à essuyer leurs larmes de crocodile, à serrer des mains faussement dévastés, à prétendre partager la même peine. C'était trop facile. Trop faux. Comme si être présent à son enterrement allait effacer tous ces sièclesoù ils l'ont délaissé, abandonné, jugé. Ça ne marche pas comme ça. Aucun d'euxne devrait être en vie. Ils auraient mérité d'être à sa place. Tous. Tous autant qu'ils sont.
Si seulement je pouvais me débarrasser de chacun d'eux, définitivement. Tout effacer pour tout recommencer, sur des bases plus saines, des fondations plus fortes. Si ceux qui l'avaient blessée de son vivant étaient partis à sa place, je ne suis pas sûr qu'un seul cimetière aurait suffit.
Je soupire. A l'horizon, le Soleil décline lentement pendant que l'humidité monte. Ma vieille veste ne me protégera pas longtemps de la baisse de température. Ces gens me dégoûtent. Ils ne méritaient pas grand-maman. Le Soleil continue de disparaitre et l'ombre des l'arbres s'allonge de plus en plus.
Les gens partent, petit à petit, laissant aux morts un peu de tranquillité. Certains ne reviendront jamais, n'iront plus saluer ceux qu'ils ont perdu. C'est un peu triste, quand on y pense. Les mortels, s'ils n'ont pas réussi à se démarquer de leur vivant, finissent systématiquement par être oubliés. Le calme prend possession des lieux, leur donnant un air que les mortels pourraient qualifier « d'angoissant ».
Jarrel serait étrangement détendu, malgré l'ambiance pesante, l'une des rares fois où il accepte sa situation d'enfant des Enfers, alors que tout le monde prendrait peur. Des humains s'attardent plus que les autres, j'ai hâte qu'ils partent. Ici, j'ai toujours l'impression que le temps s'arrête.
Pourtant, les oiseaux chantent. Pourtant, les enfants pleurent. Pourtant, les adultes prient. Pourtant, le bruit des graviers se rapproche, inexorablement.
Impossible de l'ignorer, ça arrive. Je ne serai plus seule. Je me crispe. Prête à sortir mon arme.
Le bruit s'accentue. Un peu plus. Ça continue. Encore. Il grandit.
C'est insupportable. Il ralenti.
Faites que ça cesse.
-Encore là ? Je vais finir par croire que tu dors sur ce maudit banc. Où est ta salle de bain ?
Je me détends, respire de nouveau. Cette voix, je la connais. Je me détache lentement de la tombe pour me concentrer sur l'homme. Il y a des choses qui ne changent jamais et cet intru en fait sûrement partie. Ses cheveux roux décoiffés semblent prendre feux sous le Soleil et leurs pointes abîmées sont suspendues au au-dessus de ses épaules.
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L'As De Songes
Fantasy"Tu n'es pas Hexe. Où est ma fille, bordel ?" Hexe a toujours été une personne difficile. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, il n'y a toujours eu qu'elle, ses frères et de temps à autre ses grands-parents. Ses proches n'ont jamais réellement compr...