Chapitre 21 - Celles qui contemplent

791 38 80
                                    

Musique : Creep - Radiohead

Mon regard ne pouvait quitter les yeux qui s'étaient figés sur mes lèvres.

Petit à petit, mon regard s'affaiblissait, sombrant sur le reste de son visage, il s'arrêtait sur les lèvres qu'il avait face à lui. Puis, dans un moment de réalisation, mon corps entier se retrouve pris dans une paralysie. Emprisonnés par ces lèvres, mes yeux ne pouvaient détourner le regard.

Étaient-ce mes yeux ou mon cœur qui refusaient de détourner le regard ?

Je ne pouvais savoir si mon corps se retrouvait paralysé, à cause, de la fraîcheur de la nuit ou à cause du peu de distance qu'il se trouvait entre madame Giovanni et moi.

Ce dont j'étais sûre, c'est qu'en cet instant, je n'étais absolument pas à mon aise.

Un besoin impératif de sortir de ce silence accapara soudainement mon esprit.

C'est étrange que je ressente cela puisqu'habituellement, c'est dans le silence que je me retrouve le mieux.

C'est là où les mots sont le plus réfléchis. C'est aussi là qu'ils blessent le moins.

À quoi songez-vous lorsque vous observez l'océan ?

Subitement, son regard vient quitter mes lèvres pour venir regarder le bleu profond de mes yeux.

Elle semble embarrassée.

Vous êtes un peu trop proche, Garcia.

Excusez-moi.

Il est vrai que la cause de notre proximité est le fait que j'avais ma tête posée sur son épaule et qu'ensuite, je l'ai simplement levé. Nous n'avions aucune raison d'être aussi proches.

Je me remets donc à ma position initiale, mais étant l'une à côté de l'autre, nous sommes toujours aussi proches.

Pour répondre à votre question, avez-vous déjà entendu que Le Grand livre de la nature est écrit en langue mathématique?

Galilée. Bien sûr, pourquoi ?

Que ressentez-vous lorsque vous regardez l'immensité de l'océan Garcia ?

Mes yeux quittent son magnifique regard pour pouvoir contempler le paysage que j'ai droit devant moi.

Je ressens comme un mélange de plaisir et de peur lorsque je regarde cet océan sans fin.

Dis-je un peu perplexe. Je réfléchissais en même temps que mes mots sortaient.

À la fin de ma phrase, je tournais mon visage pour regarder dans les yeux la personne à qui je m'adressais.

Elle me souriait.

Allez, Garcia, dites-moi en plus. Je sais que vous en savez davantage. Ce mélange de plaisir et de peur dont vous me parlez. Comment se caractérise-t-il ?

Par le sentiment du sublime. Burke disait du sublime qu'il produit une émotion singulière à une "terreur délicieuse".

Je ne sais pourquoi, mais le sourire de ma marraine s'allongeait à la suite de mes mots.

Pourquoi j'ai l'impression d'être évaluée par un professeur ? Être mon avocate et ma marraine ne lui suffisait pas déjà amplement ?

Et connaissez-vous le sublime kantien, Mademoiselle Garcia ?

Non, dites-le-moi. Mais quand est-ce que vous allez m'appeler par mon prénom ?

Bien, Gabrielle...

Mauvaises GrainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant