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                                                                                              Isaac

Je respire.

Enfin.

Le temps est à l'orage, le ciel est gris, l'atmosphère est lourde, l'air est empli d'humidité comme souvent à cette période à Atlanta, mais je n'ai pas envie de monter de suite dans la berline qui m'attend garée le long du trottoir d'en face. Je distingue mon père au volant, ma mère est absente, mais à quoi pouvais-je m'attendre de sa part ? Un rendez-vous chez son chirurgien ou une journée au country club avec ses amies sont des excuses valables, pour elle, de ne pas venir chercher son fils à sa sortie de prison. Prison que j'ai intégrée pour sauver la réputation et éviter des ennuis à la fille de ses ennemis jurés. Harlow Jenkins.

Mon interdit.

Mon attirance.

Ma résilience.

Je suppose que c'est sa façon à elle de me le faire payer. En même temps, j'en ai rien à foutre qu'elle soit là ou pas. Je la verrais bien assez tôt, pour encaisser les reproches qu'elle ne manquera pas de me balancer à la gueule.

Je lève mon visage vers le ciel, prends une grande inspiration puis je me dirige dans la direction où est stationnée la voiture. Je sais que mon père m'a vu, mais je sais aussi qu'il fait exprès de respecter mon besoin de respirer... neuf mois enfermé à inhaler l'air que quelques heures par jours, dans un cour entourée de barbelés, crée un manque dont on est pas conscient quand tu as toute liberté.

Je ne vais pas me plaindre sur les conditions d'enfermement, s'appeler Isaac Jenkins a des avantages, mais les quatre murs de mon ancienne cellule sont pour tout le monde pareil. La différence est que j'en avais une pour moi tout seul et que les matons me foutaient la paix la plupart du temps et surtout j'étais isolé des autres détenus. Chose que j'ai refusée. Du coup ils ont cédé et j'ai pu prendre mes repas avec eux, jouer au foot, aller à la salle de musculation, me rendre à la bibliothèque, prendre des cours par correspondance et me faire tatouer.

Ouais bon, ce dernier point n'est pas forcément le plus apprécié de mes parents sur ma volonté d'être traité comme le commun des mortels, mais j'avais besoin d'ancrer sur ma peau des mots que j'ai toujours refusé d'avouer de vive voix à ma princesse casse couille.

Amour indélébile écrit à l'encre de tes veines.

Si Alan était là, il me traiterait de canard. Je souris devant cette réalité.

Je jette ma clope dans une poubelle après l'avoir éteinte puis je me saisis de mon sac et marche jusqu'à la berline luxueuse de marque allemande.

Un,- bonjour mon fils-, une accolade maladroite et Henry enclenche la première.

Pas besoin de mots entre nous. Il avait un rapport détaillé de mes conditions de rétention.

Le trajet se déroule dans un silence de plomb. Mon père parce qu'il ne doit pas savoir comment m'aborder, en même temps, j'ai refusé toutes ses visites, pour ma mère je n'ai pas eu à les décliner puisqu'elle elle n'a jamais demandé de droit de visite.

Et pour moi, sûrement parce que je n'ai pas envie d'ouvrir la bouche et de raconter mes journées comme si je rentrais d'un séjour en colonie de vacances. Alors on se tait. Pas par pudeur mais par appréhension de ce que pourrait dire l'autre. Un mot de travers, une étincelle, et c'est l'incendie.

Je fixe le paysage par la vitre, sort une autre cigarette de mon paquet, lorgne d'un oeil du coté de mon paternel, mais là aussi il se la ferme, alors je l'allume en ouvrant la fenetre, toujours ce putain de besoin d'air. Je recrache la fumée, suis des yeux les volutes qui disparaissent dans les airs, me perd encore une fois dans l'immensité du ciel. Le bruit, les odeurs, tout ça m'a manqué sans que je m'en rende compte.

Au delà des ApparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant