Never Say Never - Hailey

Jour 77 : Vendredi 24 Février

Mon projet est à rendre dans trois jours. Je passe des heures et des heures encore à peindre, modifier, reprendre une toile. Je ne suis pas allée au Little Coffee depuis près d'une semaine, j'envoie des messages tous les jours à Dan pour lui assurer que je vais bien. Ce qui est faux, si Xia He et les filles ne me forçaient pas à manger, j'oublierai. Je bois mon verre d'eau tout en discutant avec Clara, je dois faire des heures sup' pour payer mon nouvel appartement. Je n'ai plus beaucoup de temps pour trouver quelque chose.

"- Alors, ta recherche d'appart ?

- Au point mort. J'ai été visiter trois appartements et un cagibi en un mois cependant l'un n'avait pas de cuisine, l'autre était un studio avec des voisins très bruyants, et le troisième me couterait les yeux de la tête en chauffage. 

- Ne te prends pas trop la tête, si ça va mieux avec Xia He, elle te laissera peut-être rester un mois ou deux de plus.

- Le proprio me met la pression, il a veut que je laisse ma place à son neveu. Je n'ai plus de choix. 

- Je ne connais personne qui déménage.

- Et moi je n'ai pas les moyens de prendre du luxe. Mais je vais trouver. Je visite un nouvel appartement demain.

- Tu n'oublies pas de prendre soin de toi, n'est-ce pas ? Je te trouve un peu remplumé depuis quelques jours et ça me fait plaisir. Tu as repris des couleurs.

- Je n'oublie presque plus de manger. 

- Et les pâtisseries ? 

- Toujours dans l'incapacité d'en manger. Mais ça va revenir."

Clara monte sur le comptoir et s'assoit sur la chaise à côté de moi. Il ne reste que quelques clients, des habitués qui restent jusqu'à la fermeture. Clara se sert un verre puis tourne son regard noisette dans ma direction. Ses cheveux sont attachés en un chignon défait et sa chemise à carreaux est ouverte, démontrant son affection pour un ancien groupe de rock. La confidence qu'elle me fait me laisse sans voix.

"- Il y a trois ans, j'étais anorexique."

Elle commence à parler tout en fixant le bois massif du bar. Mon regard surprit ne la quitte pas.

"- Luke m'a sauvé, tu sais. Il m'a offert ce job pour que je reprenne goût à la vie et qu'il soit sûr que je mange. Je vomissais à chaque fois que j'entrais dans la cuisine, à cause de l'odeur de nourriture. Alors je passais mon temps au bar à m'enfiler des verres. Luke l'a rapidement compris et m'a mis au service un bon moment.

- Pourquoi t'es restée si tu n'aimais pas ça ?

- J'avais envie de me prendre en main, de vivre. Pourtant je me laissais crever la bouche ouverte. Puis un jour ma mère est venue ici. Je ne l'avais pas vue depuis des années. Elle a pété un câble en disant que je devais aller dans un hôpital psychiatrique plutôt qu'ici à vomir ce que je ne mangeais plus. Luke a gardé son calme et a parlé doucement, comme pour me rassurer. Mais les cris de ma mère m'ont affolé et je me suis mise à crier et à m'énerver. Tu penses bien que j'ai fait un malaise. J'étais persuadée de me réveiller dans une chambre d'hôpital. Mais j'étais là, dans le bar, dans la cuisine même. Avec l'odeur de nourriture. J'avais eu tellement peur, j'ai vomi tout ce j'avais. Et pas grand-chose. Le cuisinier m'a nourri. Sa sœur était dans le même cas que moi. Sauf qu'elle... Elle est décédée. J'ai mangé tout ce qu'il me donnait, comme si j'espérais faire revivre sa sœur. Luke est arrivé et m'a dit, avec sa grosse voix d'ours joyeux « Il faudrait peut-être que t'apprennes à vivre par toi-même. Mais ce n'est pas en t'enfermant avec des gens que tu vas aller mieux. Surtout en sachant à quel point tu es sociable ! ». Il s'est mis à rire, m'a caressé la tête puis est parti se faire son café. Il riait de la situation mais s'inquiétait énormément pour moi. C'est quand je l'ai compris que je me suis reprise véritablement. Et regarde aujourd'hui ! Je vis pleinement et mange pour dix !