La tisseuse d'étoiles

OPHIUCHUS

   Les rayons du soleil frappaient le visage d'Astrid sur le pont du bateau dont la proue représentait un serpent de bronze qui révélait ses crochets. Les cheveux détachés de la magicienne dansaient avec le vent et accompagnaient son sentiment de liberté qui s'écoulait jusque dans sa couverture, celle-ci s'agitait dans son dos comme une cape qu'Astrid tenait avec fermeté. Alors que les montagnes de l'ouest entre Australis et Virginis se faisaient plus petites, les terres d'Ophiuchus se révélaient de plus en plus.
   Au centre de ce qu'elle pouvait voir du territoire des Serpentaires s'érigeait un mont en pierre, à son sommet une lame fendait les nuages qui se formaient et se déformaient proche des terres, résultat des fortes pluies de la veille.
   Après des exclamations des membres de l'équipage qui s'affairaient sur le pont et observaient par dessus bord, Astrid décida de se joindre à eux pour comprendre la raison de leur enthousiasme.
  Le spectacle auquel elle assista lui provoqua un sursaut d'horreur et sa couverture ne suffit pas à empêcher son sang de se glacer. Autour du large bateau dansait une multitude de rubans noirs et blancs, voir jaunes ou bleus pour certains.

- Notre comité d'accueil est là, nous sommes presque arrivés.

   Astrid se tourna horrifié vers madame Mamushi, son air interrogatif provoqua un rire moqueur chez la présidente qui questionna cyniquement :

- Tu ne te doutais pas qu'il y aurait des serpents parmi les Serpentaires?

- Mais ils sont beaucoup là ! Et ils nagent ?

- Ne t'inquiète pas, ils sont très gentils je t'assure. Et oui, ceux là nagent, mais jamais très loin des côtes. Ils ont dû sentir ma présence et ils viennent me saluer, ceux sont des copains !

   Astrid déglutit, et se demanda brièvement s'il était trop tard pour faire demi tour. Bien sûr, elle s'était douté que des reptiles puissent vivre à Ophiuchus mais elle n'avait pas encore posé le pied à terre qu'elle en était déjà entourée.

   Le connétable lui tapa sur l'épaule lorsque vint le moment de débarquer sur un pauvre ponton en bois, loin du prestige du port de son Reinaume adoptif. Gaspard, agacé face à l'hésitation d'Astrid, la bouscula d'un mouvement d'épaule pour la dépasser la tête relevée, accompagné de gardes et de domestiques qui portaient les bagages des membres de la traversée. Cette attitude ne manqua pas d'agacer la croisée qui serra les poings contre sa robe. En lui offrant un sourire et son avant bras comme appui, Félix dispersa la rancoeur d'Astrid.

- On y va ensemble si tu veux, prononça t'il.

   Ils passèrent la passerelle en bois installée pour servir de pont entre le bateau et le ponton et entreprirent de rejoindre la terre ferme en saluant l'équipage du bateau. Le connétable dans son extrême sociabilité avait retenu les noms de chacun des membres et s'adressait à eux un à un, agrémentant ses remerciements de louanges et de railleries personnalisées. Astrid, qui souriait timidement en saluant les matelots silencieusement, était subjuguée par l'homme dont elle tenait le bras. Elle prit conscience qu'elle n'avait aucune envie de le lâcher. Quelque chose en elle voulait rester accrochée à cette carrure qui la rassurait et ce sourire qui faisait rebondir de la joie sur tous les visages qu'il frappait.   
    La magicienne extirpa Félix de ses chaleureuses salutations en plantant ses doigts dans son bras comme sur les touches d'un piano, le son qui en sorti fut son cri strident à la vue de Madame Mamushi.

- Tiens ! Tu peux les prendre, regarde !

    La figure d'autorité jusque là froide et parfois nonchalante se ruait vers Astrid en riant. Elle avait retiré ses chaussures et ses pieds s'enfonçaient dans le sable de la plage où s'étaient réunis une colonie de reptiles. Avant que la présidente n'arrive jusqu'à elle, Astrid n'eut d'autre choix que de lâcher le bras du connétable pour franchir la limite du ponton avant d'être coincée entre celui-ci et la mer, aussi remplie des serpents qu'elle cherchait à fuir à tout prix. Monsieur Habu, Félix et l'équipage resté sur le bateau rirent ensemble en assistant à la course poursuite de la dirigeante hilare et de la tisseuse d'étoiles qui ne trouvait refuge nul part.