La tisseuse d'étoiles

LE MAGE BLANC

   Tant pis pour son secret. Astrid sentait qu'elle perdrait bientôt connaissance. Si elle ne faisait rien, l'épée de son bourreau se planterait dans sa chair avant que la lame sous la gorge de Marisol ne la tue elle aussi. Elle profita du moment durant lequel son assaillant dégaina son épée pour rassembler l'ensemble de ses forces. La chaleur envahit son corps comme à chaque fois qu'elle s'apprêtait à utiliser la magie. Un fluide intense d'énergie  se déversa dans son corps, pourtant, rien ne se produisit. Pas le moindre filament ne se tissa autour de son doigt, aucune étoile ne frappa le sol pour laisser apparaître un chien géant, aucun vent fort ne souffla. Elle envoya un coup de pied vers le haut, espérant frapper les parties intimes du garde. Celui-ci se saisit de sa cheville et sans hésitation entailla le mollet d'Astrid qui s'époumona dans un hurlement de douleur.

– Batarde ! Cracha l'agresseur avant d'envoyer un coup d'épée dans le flanc de sa victime.

   Astrid lacera les paumes de ses mains et s'entailla les doigts en empoignant la lame qui s'enfonçait entre ses côtes. Plusieurs hurlements s'extirpaient de son corps alors que ceux de son amie étaient toujours étouffés par la main d'un autre assassin.

– Tue la ! Lança l'homme qui détenait Marisol en otage. Bute cette foutue croisée !

Les yeux d'Astrid roulèrent sous ses paupières supérieures, sa conscience s'évaporait, ses battements de cœur ralentissaient. Elle sentit la lame de son assaillant s'arracher à sa cage thoracique, le pied de l'homme asséna un coup dans son estomac avant de l'écraser de tout son poids. La tisseuse d'étoiles reprit ses esprits une fraction de seconde avant d'être à nouveau emportée dans le brouillard, le souffle coupé. Durant ce court instant, elle aperçut son sang couler de l'épée de son agresseur. L'arme était positionnée au dessus de son cœur. C'est terminé, pensa-t'elle.

   Les souvenirs d'Astrid défilèrent dans la brume de ses dernières pensées. Sans le vouloir elle se remémora le jour où, à sept ans, elle tomba d'un courant d'air vertical un peu trop fort. Ses pleurs furent si intenses que Maude lâcha quelques larmes avec elle en la soignant. 
   Elle se souvint aussi de la fois où Maxim l'avait fait pleurée plus fort parce qu'il lui avait demandé de sangloter ailleurs qu'à côté de lui. Le souvenir qui semblait être le dernier s'entremêla avec d'autres. Elle revoyait Aaron la prendre dans ses bras, enfant, et l'enlacer quelques instants plus tôt. Elle pensait avoir vécu des retrouvailles, cela était, en réalité, un dernier adieu. Comment allait-il réagir en apprenant sa mort ? Comment allaient réagir Maude et Maxim ? Maxim ressentirait-il du chagrin cette fois-ci ? Astrid espérait que non, elle lui souhaita silencieusement de ressentir un jour quelque chose d'autre que de la tristesse comme première émotion. Elle ne le verrait pas grandir d'avantage, elle ne connaîtrait jamais son choix. Que deviendrait Maude ? Qui l'avertirait de la nouvelle ? « Elle sera probablement folle de rage contre Félix ». Son ultime pensée fut pour sa mère qu'elle n'eut jamais retrouvée et toutes les réponses qu'elle n'aurait jamais.

   Si seulement j'avais été plus forte.

   Astrid ouvrit les yeux sur la lame qui s'abattait sur elle, fendant l'air pour se planter dans sa poitrine. Le coup allait l'atteindre pourtant son attention se porta sur le visage déformé par la haine de son meurtrier. Qu'avait-elle pu bien faire pour l'énerver à ce point ?

   La lame s'arrêta; juste avant de transpercer le cœur de la Balance. L'épée se mit à flotter, l'homme qui s'y cramponnait décolla son pied du ventre d'Astrid et lévita au dessus de son corps quasiment inerte. La face du garde se maquilla d'une expression d'effroi. Immobile, Astrid assista au spectacle horrifiant qui se déroulait au dessus d'elle sans qu'elle ne puisse réagir. Les os du garde claquèrent les uns après les autres, ses bras et ses jambes formèrent des équerres, son visage s'affaissa, sa mâchoire se déboîta et son dernier souffle s'extirpa de son corps lorsque sa colonne vertébrale le fit se plier vers l'arrière dans un dernier craquement.