Chapitre 1 ~ La fin ou le début

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La cérémonie de remise des diplômes tirait en longueur. On venait d'écouter le discours de Tamara qui, étant major de leur promo, les représentait tous. Du moins, c'était l'idée. Shadow ne se sentait pas particulièrement représenté par ce discours, plein de joie et de clichés, qui parlait de la fin d'une aire, mais du début de leurs vies d'adultes. A voir les sourires émus et les mines réjouies des autres, il devait être le seul.

Il tritura l'anneau qui perçait sa lèvre inférieure du bout de la langue pendant un moment, mais ça n'aidait pas à faire passer le temps. Il était impatient qu'on en finisse et qu'il puisse enfin retirer cette robe de cérémonie ridicule. Il était fondu dans la masse, et il n'aimait pas ça. Il se sentait vulnérable au milieu du troupeau. Par chance, il n'avait plus le carreau qui leur servait de coiffe. Dès qu'on lui avait remis son diplôme, il s'en était débarrassé et avait vainement tenté d'arranger ses cheveux. Il regarda autour de lui, ces gens avec qui il venait de passer quatre ans de sa vie et qu'il ne connaissait même pas. Les membres de sa bande avaient tous séché la cérémonie et il aurait fait de même si Gramz n'avait pas été si foutument fière de ses résultats.

Ses yeux se portèrent comme en réflexe vers les rangs où les familles d'élèves étaient présentes. Gramz était là, un chapeau de soleil sur la tête, elle ressemblait à n'importe quelle grand-mère quand elle lui souriait. Personne ne pourrait se douter de la férocité de cette vieille dame. Non loin d'elle, Liam et sa femme étaient présents, certainement parce que Lando était diplômé aujourd'hui. Liam dans son costume Armani et Kaley dans sa robe simple, ils avaient l'air de poser pour Vanity Fair. Fernando se tenait à la droite de Liam dans un jean et un t-shirt, il aurait pu passer pour un motard sur le retour. Shadow hésita avant de laisser son regard s'aventurer plus loin, mais il le fit. Et il le vit, là. Carlos. Il ne savait pas pourquoi il se sentait aussi mal en le regardant. L'époque où ils étaient voisins de cage remontait à loin. Mais quand il voyait Carlos, Shadow avait l'impression de sentir encore le froid et l'odeur humide. La moisissure, l'air de plus en plus irrespirable... Ce n'était que son imagination, parce que lorsqu'il y réfléchissait, Carlos s'était déjà enfui à l'époque de cette cage-là.

Etonnamment, les souvenirs étaient vagues en eux-mêmes. Mais les sensations le hantaient. Une odeur, un ressenti auquel il ne pouvait pas rattacher un instant précis, mais qui ramenaient un sentiment terrifiant. Shadow avait passé ces dernières années à essayer de s'en défaire, mais il n'y arrivait pas et la mort d'Aaron n'avait fait que raviver ce nœud dans son estomac, celui qui lui disait qu'ils n'étaient pas à l'abri. Jamais en sécurité, toujours sur le qui-vive.

Il avait beau avoir du mal à se connecter à l'enfant heureux qu'il était avant... avant tout ça. Il se souvenait néanmoins d'Aaron et de sa bonté, sa générosité. Il avait été un bon alpha, contrairement à Randall. Ils étaient de sa famille tous les deux. L'un était son grand-oncle, l'autre, son oncle. Mais il n'avait pas su renouer avec Randall. Alors qu'Aaron... Il était le seul, mis à part Gramz à qui il avait permis de l'appeler Pierre. Il ne supportait pas qu'on utilise son ancien prénom. Il n'était pas Pierre, ne l'avait plus été depuis trop longtemps. Pierre était un petit gars heureux qui aimait les histoires où le loup sauvait la princesse du méchant chasseur.

A présent, on l'appelait Shadow, on l'appelait le punk, ses profs l'appelaient toujours Pierre. Mais Pierre était mort, il n'y avait plus que sa grand-mère pour l'appeler ainsi. L'appellerait-elle toujours comme ça, si elle découvrait qu'il avait aidé à la chute de Randall ? La perte de cet homme, cet Alpha, qui bien que devenu tyrannique et déraisonnable, restait néanmoins son fils à elle.

Les applaudissements soudains le firent sursauter, mais il cacha rapidement sa réaction en se levant et se dirigeant directement vers sa grand-mère, sans faire attention aux autres élèves et leurs mines émues. Se saluant tous, alors qu'ils avaient passé quatre ans à s'ignorer les uns les autres. Il ne comptait pas prendre part aux hypocrisies. Quand on le salua, il se contenta de leur lancer des regards dédaigneux. Il ne répondit qu'à une seule des nombreuses félicitations. Comment ne pas y répondre ? Lando.

Silver Moon (Wolves Chronicles - tome 2) [Carlando + Piarles]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant